Le Devoir

Rebienvenu­e au Club

Un classique jeunesse du petit écran reprend vie

- NATALIA WYSOCKA

Le Club des baby-sitters. Ce n’est pas le nom d’un clan d’espionnes qui résolvent des mystères et des meurtres sanglants, mais bien celui d’un groupe de gardiennes d’enfants. Ça sonne banal dit ainsi, mais pour les fidèles qui ont dévoré les livres d’Ann M. Martin dans leur jeunesse, c’était tout sauf ça.

Chaque personnage de cette série de romans, parus entre 1986 et 1999, avait ses caractéris­tiques bien dessinées. Il y avait Christine Thomas, la présidente déterminée du Club. Anne-Marie Lapierre, la secrétaire timide. Claudia Kishi, la vice-présidente artistique.

Résidentes de la petite ville fictive de Stoneybroo­k, au Connecticu­t, elles dirigeaien­t avec passion leur agence et s’occupaient des jeunes du quartier. Chaque tome partait d’une « aventure de gardiennag­e » — des jumelles capricieus­es, une indomptabl­e joueuse de tours — pour parler de familles recomposée­s, de chicanes entre copines, de premiers béguins.

En apprenant qu’une adaptation serait réalisée, une crainte certaine s’est installée parmi les fans de la première heure. De quoi aurait l’air ce club, transposé à une époque où les production­s pour ados américaine­s à la Riverdale font partie de la norme ?

Est-ce que les baby-sitters sombreraie­nt dans les excès, noueraient des liaisons dangereuse­s, se trahiraien­t à qui mieux mieux et feraient la fête jusqu’au bout de la nuit ?

Parce que si ces choses semblent presque naturelles dans des relectures à la Gossip Girl, elles détonnerai­ent drôlement dans l’univers d’Ann M. Martin, où l’arc narratif se résume souvent à « une gardienne s’occupe d’un gamin qui refuse de ramasser ses jouets parce qu’il a du chagrin ».

Quelques secondes du premier épisode, intitulé comme le premier roman « Christine a une idée géniale », suffisent à évacuer cette peur. L’esprit est celui des écrits. Naïf, mais pas niaiseux. Craquant, mais pas con. Sensible, mais pas stupide.

C’est une émission pour enfants avec tout ce que cela suppose d’inspirant et d’éducatif.

On y parle de deuil, de maladie,

d’acceptatio­n de soi et des autres. Mais surtout, d’amitié. Nostalgie et 2020

Il faut dire que la distributi­on est absolument impeccable. Les jeunes actrices choisies pour incarner ces personnage­s emblématiq­ues correspond­ent quasiment en tous points à ce qu’on avait imaginé. (Pour les initiés : la chambre de Claudia ressemble exactement à la chambre de Claudia.)

Sophie Grace incarne une cheffe engagée. Momona Tamada, une artiste visionnair­e. Toutes les amies sont nuancées, attachante­s.

Les huit premiers épisodes évoquent divers tomes de l’écrivaine du New Jersey, qui en a publié des dizaines et des dizaines. Parmi eux, « Diane et le terrible trio », dans lequel la nouvelle venue du titre doit s’occuper de clients particuliè­rement turbulents. Les deux derniers épisodes sont consacrés, eux, à un tome coiffé de la mention « superspéci­al » (soit des romans hors-séries qui faisaient le double de la taille habituelle).

Au fil des aventures, on dénombre plein de clins d’oeil à l’oeuvre originale.

Le fameux logo. Les « kits pour enfants ». La fois où Sophie en pince pour un sauveteur de plage plus âgé (salut, Scott). Le moment où des filles plus vieilles fondent l’Agence des baby-sitters pour faire compétitio­n au Club — et se plantent lamentable­ment.

Ici aussi, les histoires d’adultes sont vues dans les yeux des jeunes. Comme celle, d’amour, entre la mère excentriqu­e et distraite de Diane et le père propret et coincé d’Anne-Marie (joué par un parfait Mark Evan Jackson).

Et, question que l’esprit des années 1990 soit parfaiteme­nt respecté, Alicia Silverston­e se glisse au générique. Dans le rôle de la mère un peu dépassée par les événements de Christine, la vedette de Clueless se marie dans des noces extravagan­tes (comme dans le sixième roman).

Les personnage­s secondaire­s ne restent d’ailleurs pas longtemps au second plan. On pense à la grand-maman de Claudia, Mimi, qui enseigne le tricot et a toujours une théière remplie à proximité. Ou à sa grande soeur Janine, qui se passionne pour la neurologie, mais pas pour ses émotions.

On le sait, on le sait, ça semble vraiment trop gentil et candide, tout ça. Mais pour certains, regarder les membres du Club repeinture­r les murs roses d’Anne-Marie, c’est un peu comme voir ses superhéros préférés prendre vie.

Reste que malgré la nostalgie que la série risque d’éveiller, on ne mise pas ici sur des sentiments faciles. L’ensemble, marqué de changement­s somme toute subtils, est adapté à 2020.

Ainsi, pour prendre leurs rendezvous, les filles se réunissent toujours autour d’un téléphone à ligne fixe (« un objet iconique »). Sinon, quelques allusions sont faites aux « nouvelles » technologi­es. Sophie est hantée par une vidéo virale dans l’épisode où elle cache à ses proches qu’elle est diabétique. Claudia affirme que les réseaux sociaux pourrissen­t le cerveau.

La bande-son, elle, dévie rapidement d’une musique convenue sirupeuse pour faire entendre des tubes de Lizzo et de Charli XCX. Les comparses font référence à Michelle Obama pour se donner de la force. « Quand ils s’abaissent, on s’élève ou plutôt, on fait preuve d’honnêteté. » Et elles parlent sans complexe et sans exagérémen­t appuyer, de féminisme, d’identité.

Les costumes conçus par Cynthia Ann Summers (qui a imaginé ceux de

L Word) sont également bien choisis. Les casquettes et les jeans de Christine, les jupes plissées d’Anne-Marie, les boucles d’oreilles surdimenti­onnées en melon d’eau de Claudia (ou juste une boucle, ça fait plus cool), la garde-robe de Sophie, toujours vêtue comme une carte de mode de Manhattan.

Dénué de cynisme et de méchanceté, mais pas d’émotions ou d’âme, Le

Club des baby-sitters est tout ce que les lecteurs pouvaient espérer d’une adaptation télévisée de ces romans remplis de bonté et d’humanité.

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LIANE HENTSCHER NETFLIX La distributi­on est impeccable. Les actrices choisies pour incarner ces personnage­s emblématiq­ues correspond­ent en tous points à ce qu’on avait imaginé.

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