Le théâtre québécois se relèvera-t-il de la crise ?
Un rapport dresse un portrait lugubre du milieu post-pandémie
Le théâtre et les arts vivants seront-ils parmi les grands perdants de la crise de la COVID-19 et du confinement qu’elle a entraîné ?
C’est ce que laisse présager un rapport rendu public cette semaine par le Conseil québécois du théâtre, basé sur un sondage réalisé au mois d’avril dernier auprès de 263 répondants et de 97 organismes du milieu.
Milieu fragile par définition, surfant généralement sur des projets de courte durée nécessitant des mois de préparation, vivant de réinvention permanente, les arts vivants sont aussi considérés par certains comme un produit de luxe, et les artistes du milieu craignent qu’ils n’arrivent bien loin sur la liste des dépenses que pourront s’accorder les consommateurs appauvris par la crise.
Et milieu grégaire, qui mise sur la présence des comédiens et du public d’abord et avant tout, il s’accommode mal d’une conversion au numérique qui gomme ses principaux atouts.
Ces arts vivants souffrent donc d’une « perte de sens sans précédent », notent les auteurs du rapport.
Les chiffres du sondage sont à eux seuls effarants. 87 % des répondants ont subi des annulations de spectacle, 98 % des répondants ont perdu des cachets, et 76 % ont perdu des occasions de travail. 3 personnes sur 5 s’estiment dans l’impossibilité d’entreprendre des démarches de création et/ou de recherche d’emploi. La majorité des répondants (56,3 %) étaient des travailleurs autonomes avant la crise, et la majorité des organismes répondants (72 %) comptaient moins de cinq employés.
Pour les jeunes entreprises, qui n’ont souvent pas encore accès à des subventions de fonctionnement, la faillite n’est pas loin, lorsqu’elles prennent la décision de payer malgré tout les artistes qu’elles avaient déjà engagés, relèvent les auteurs du rapport.
Dans sa réflexion, le Conseil québécois du théâtre se pose des questions plus inquiétantes encore. La nature même de la pratique théâtrale est remise en jeu par la crise, relève-t-on. Une fois celle-ci résorbée, le lien ténu qui unit l’offre et la demande dans ce secteur sera-t-il rompu ? « Les publics serontils au rendez-vous ? Les personnes qui ont subi des pertes financières aurontelles des fonds pour aller au théâtre ?
Que faire quand un système social, politique ou artistique devient étouffant et ne permet pas à des idées exploratrices et intelligentes de s‘exprimer ? Une question d’une grande pertinence de nos jours, alors que le milieu de l’art contemporain international s’est totalement embourgeoisé. L’exposition présentée au Musée des beaux-arts de Montréal se veut une forme de célébration de cet « esprit d’indépendance » par rapport aux normes dominantes à travers 500 oeuvres de Signac, Seurat, Pissarro, Redon, Degas, Lautrec, Morisot…
L’exposition traite plus particulièrement du désir des artistes, au tournant des années 1900, de lutter contre l’académisme et les valeurs esthétiques de la classe dirigeante. C’est l’époque où le critique d’art Joris-Karl Huysmans, directeur de rédaction de La Revue indépendante, dénonçait le pouvoir abusif de l’État et de l’Académie des beaux-arts en matière d’art et trouvait que la peinture officielle était à « faire dégueuler » !
Contre les artistes officiels
Rappelons les faits. En 1884, un groupe d’artistes fonde une nouvelle structure d’exposition. Le Salon des Indépendants a été voulu sans jury d’admission ni récompenses. Au printemps 1884, ils font un premier essai d’exposition afin de lutter contre le Salon officiel qui se tenait depuis 1667. Cet événement s’inscrivait dans une longue liste d’expositions contestataires : le pavillon privé du contestataire Gustave Courbet en 1855 ; le Salon des refusés de 1863 ; l’exposition des impressionnistes de 1874 dans l’atelier du photographe Nadar, artistes déjà qualifiés d’indépendants…
L’art moderne serait-il une succession de révoltes d’artistes marginaux, de créateurs étranges dans la faune artistique ? En 1880, le Salon officiel refuse encore beaucoup d’oeuvres innovatrices, dont des tableaux impressionnistes, ce qui mena à la constitution d’un second Salon des refusés en 1883. Et puis, début 1884, rebelote, plusieurs artistes se virent encore interdits d’exposition, dont Seurat avec son maintenant célèbre tableau Une baignade à Asnières — oeuvre achetée après la mort du peintre par le critique d’art anarchiste Félix Fénéon. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Une première expo du Groupe des artistes indépendants eut lieu. Victor Hugo appuya publiquement cette démarche.
L’aventure tourna à la querelle entre artistes en ce printemps 1884 et plusieurs d’entre eux voulurent dès la fin de la même année tenir un Salon d’hiver parrainé cette fois par la Société des artistes indépendants. Signac et Seurat s’y firent reconnaître et formèrent un mouvement que l’on nomma « vibriste » et qui passa à l’histoire sous les appellations « pointilliste » et « divisionniste ». Ce Salon des Indépendants — qui existe toujours et qui en février dernier célébra sa 136e édition — défendit souvent des artistes modernes hors norme.
L’art d’une nouvelle société
Cette exposition au MBAM est presque totalement constituée d’oeuvres provenant d’une collection privée, possédée par un seul collectionneur, qui restera mystérieux… Voilà qui aurait peut-être interpellé certains des artistes de cette époque qui furent proches des mouvements anarchistes et communistes. On notera d’ailleurs que le résultat de cette présentation permet particulièrement bien de voir comment l’impressionnisme et le postimpressionnisme furent souvent en lien avec les sujets sociaux et engagés du réalisme.
Bien des salles de l’exposition sont particulièrement réussies. Celle sur « Le spectacle de Paris » est remarquable et met en scène des affiches publicitaires, des gravures et des peintures originales sur la vie nocturne dans la capitale française… Ce volet nous rappellera que la prolifération des images n’est pas, comme le veut le cliché, un phénomène récent. C’est l’époque que l’artiste Félix Vallotton qualifie justement de « L’âge de papier ». La salle consacrée aux oeuvres d’Odilon Redon est aussi exceptionnelle et nous permet de contempler la démarche d’un créateur singulier.
Des artistes si indépendants ?
Nous pourrons néanmoins faire quelques reproches à cette exposition. Souhaitant célébrer l’indépendance et l’originalité, elle aurait pu avoir une structure plus novatrice et moins classique. Elle démarre par une galerie plutôt conventionnelle de portraits d’artistes qui pourra laisser croire que c’est l’individu qui est le moteur du changement, alors qu’à cette époque — et encore de nos jours — c’est plutôt le concept de groupes qui permit de marquer l’histoire. Cette valorisation de l’individu se trouve répétée dans plusieurs salles consacrées à un seul artiste. La succession des salles suit aussi une progression temporelle linéaire qui n’est guère innovatrice quant à la lecture de l’histoire.
Quant au concept d’artistes indépendants et autonomes… Anne Cauquelin, dans son célèbre livre L’art contemporain (1992), expliquait comment l’idée d’un art autonome et libre était un peu une invention, une mythologie de l’art moderne. Les artistes modernes ont eu assez rapidement des critiques pour les défendre, des galeries pour les représenter et même des collectionneurs pour acheter leurs oeuvres. Par exemple, Gaston Lévy, cofondateur de Monoprix, acheta à cette époque 43 peintures et bien des oeuvres sur papier à Paul Signac.
Quant à la révolution esthétique que cet art indépendant sous-entend… Il faut avouer qu’elle ne fut pas toujours au rendez-vous. Les oeuvres de Charles Angrand, de Maximilien Luce ou de Berthe Morisot furent souvent bien sages. Et il faut tout de même dire que la pensée de Signac, « l’âme du Salon des Indépendants », s’est toujours énoncée dans les paramètres d’un classicisme renouvelé plutôt que comme une rupture esthétique. Les citations de l’artiste placées ici et là aux cimaises le disent bien. Il voulait trouver l’harmonie et calmer les couleurs qui pourraient être trop agitées…