La philanthropie mise sur pause
La pandémie a contrecarré les plans des fondations des hôpitaux, qui ont pourtant bien besoin des donateurs
Bien des fondations d’hôpitaux au Québec sont inquiètes. Avec la pandémie de COVID-19, beaucoup d’événementsbénéfices ont été annulés. Des campagnes de financement sont aussi suspendues, ce qui nuit à la réalisation de projets dans des établissements de santé.
La Fondation Cité de la Santé devait lancer prochainement une campagne majeure de financement, visant à recueillir 15 millions de dollars pour des installations du CISSS de Laval, dont l’hôpital. « On est obligés de mettre ça en attente », dit son directeur général André Malacket.
L’argent récolté lors de cette campagne était destiné à l’agrandissement et la modernisation de la Cité-de-la-Santé. « L’hôpital a été construit pour 250 000 personnes et on est rendus 450 000 », dit André Malacket. Sa fondation devait aussi contribuer au financement du nouveau CHSLD public du CISSS de Laval, dont l’ouverture est prévue en 2021.
Depuis le début de la pandémie, la Fondation Cité de la Santé doit composer avec d’importantes pertes de revenus. Un événement corporatif, lui rapportant environ 400 000 $, a dû être annulé. Son traditionnel rallye de vélo de 300 km a été transformé en activité virtuelle. « Le rallye, c’est une perte de revenus de 300 000 $ », indique André
Malacket. Il estime qu’environ 30 000 $ pourront être amassés grâce au Défi 300 pour la Vie, tenu en ligne.
À la Fondation du CHU Sainte-Justine, l’incidence de la pandémie de COVID-19 est « considérable », selon sa présidente et directrice générale Maud Cohen. « On envisage une perte de revenus de 30 % par rapport à l’année passée », dit-elle.
Selon elle, les fondations font face à une « tempête parfaite » : elles doivent mettre une croix sur nombre d’événements-bénéfices, en plus de voir leurs placements en Bourse chuter. « On a perdu 2,3 millions de dollars en placements pour l’année fiscale se terminant le 31 mars », précise Maud Cohen.
Certaines fondations et organismes sans but lucratif vont « mourir » en raison de la pandémie, d’après Alain Demers, directeur général de l’Association des fondations d’établissements de santé du Québec (AFESAQ). « Pas des fondations hospitalières, précise-t-il. Mais plein d’autres, reliées à la santé, ne passeront pas à travers cette crise-là. »
Difficile, pour le moment, de chiffrer le phénomène. Tout dépendra de la deuxième vague de COVID-19 (s’il y en a une ou pas) et de la récession. « Au Canada et aux ÉtatsUnis, la philanthropie a toujours été affectée lors des crises économiques au cours des 100 dernières années », dit Alain Demers.
Une baisse des revenus des stationnements
En plus de recueillir moins de dons de la part d’entreprises et d’individus, certaines fondations d’hôpitaux — une fondation sur cinq, selon l’AFESAQ —
doivent faire face à une baisse de revenus liée aux frais de stationnement de leur établissement.
Pendant la pandémie, l’accès aux stationnements est demeuré gratuit, souligne François Brouard, professeur titulaire en comptabilité et fiscalité à l’Université Carleton à Ottawa. « Ça devient une perte sèche pour les fondations », dit le chercheur qui fait partie de PhiLab, un réseau canadien de recherche sur la philanthropie.
Lors d’un éventuel retour à la normale, les frais de stationnement auront aussi diminué. Le gouvernement Legault a imposé le 20 juin des tarifs réduits aux hôpitaux (entre 7 et 10 $ maximum par jour, les deux premières heures gratuites).
« Ça risque de nous affecter », dit André Malacket. La Fondation de la Cité de la Santé a récolté 450 000 $ en revenus de stationnement lors de la dernière année financière, se terminant le 31 mars. De l’argent destiné à des fonds généraux, qui servent notamment à financer la recherche et l’enseignement, explique-t-il.
Le gouvernement Legault a annoncé qu’il compenserait les CISSS et les
CIUSSS pour la perte de revenus découlant de la baisse des tarifs. Un montant de 120 millions de dollars est prévu pour l’année financière, indique Québec. L’AFESAQ espère que cet argent servira à développer le réseau de la santé.
Un capital de sympathie
Malgré le contexte difficile, les fondations hospitalières demeurent privilégiées dans le monde de la philanthropie, selon François Brouard. Elles bénéficient d’un capital de sympathie en cette période de crise. « Les gens prennent peut-être plus conscience de l’importance des hôpitaux », dit-il.
Bien des fondations ont mis en place des fonds d’urgence COVID-19. Grâce au publipostage, la Fondation de la Cité de la Santé a reçu jusqu’à présent 150 000 $ en dons.
La Fondation Hôpital Pierre-Boucher, elle, a maintenu sa campagne de financement prévue, qui a pour objectif de bonifier les soins spécialisés en gériatrie. « Ça a été un record de générosité, dit son directeur général, Bruno Poirier. On a reçu deux fois plus de dons que d’habitude pour un premier envoi postal. »
Malgré tout, les fondations doivent se réinventer. Impossible, ou presque, de tenir un bal virtuel. « On ressent une fatigue à se côtoyer seulement par écran, remarque Maud Cohen. Un événement Teams ou Zoom, alors qu’on vient de remplir notre journée de réunion [avec ces plateformes], risque de saturer les gens. » Les avenues du futur ? « On commence à se positionner là-dessus. On va tenter de surprendre les gens », dit-elle.
Depuis la pandémie, de plus en plus de fondations décident de s’associer pour des activités de financement. Cinq d’entre elles — dont celles de la Cité de la Santé et de l’Hôpital PierreBoucher — ont collaboré, avec le Cirque Éloize, à la production de capsules rendant hommage aux soignants et aux travailleurs de l’ombre du monde de la santé. Le footballeur Laurent Duvernay-Tardif y fait une apparition.
« Normalement, chaque fondation fait ses activités », dit Bruno Poirier. Chacune tente d’attirer son lot de donateurs. Mais dans le contexte actuel, « on va avoir beaucoup plus de succès en s’unissant », conclut-il.