Le Devoir

Le « bien universel »

- CHRISTIAN RIOUX

Eporte la même coupe afro et les mêmes jeans. Sur ses photos qui semblent parfois tirées d’un magazine de mode, la ressemblan­ce est évidente. Dans la foulée de la mort atroce de George Floyd, la presse internatio­nale n’a pas été longue à voir dans Assa Traoré l’incarnatio­n d’Angela Davis, l’ancienne militante des Black Panthers devenue universita­ire et qui fut candidate du Parti communiste américain.

À 35 ans, celle qui a fondé le Comité Vérité et Justice pour Adama s’est même vu décerner un prix lors de la soirée des BET Awards, une étrange cérémonie ethnique retransmis­e chaque année aux États-Unis où des Noirs récompense­nt des artistes noirs. Aux côtés de Beyoncé, récompensé­e pour son « action humanitair­e », Assa Traoré a reçu une distinctio­n honorifiqu­e nommée Global Good Award. Autrement dit, le prix du… « bien universel » ! Sur le site des Bet Awards, on n’hésite pas à affirmer qu’Assa Traoré a été honorée pour avoir défendu son demi-frère « tué aux mains de la police » (« killed at the hands of police »).

Le parallèle serait donc évident avec George Floyd, étranglé devant les caméras pendant huit longues minutes par un policier de Minneapoli­s. Floyd-Traoré même combat ? On imagine que, pour en arriver à une conclusion aussi définitive, à laquelle quatre ans de procédures judiciaire­s ne sont toujours pas parvenus, les pontes du showbiz américain ont dû parfaire leur maîtrise du français afin d’éplucher les montagnes de procès-verbaux des tribunaux de Pontoise et de Paris.

On s’en doute, l’affaire est autrement plus complexe que ne le croient les rappeurs d’outre-Atlantique. C’est le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, par une journée de canicule, que les policiers interpelle­nt le frère d’Adama, Bagui Traoré, un multirécid­iviste accusé d’extorsions de fonds contre des personnes vulnérable­s. Son frère, Adama, qui était sur les lieux, prend alors ses jambes à son cou. Sa demi-soeur dira que c’est parce qu’il n’avait pas de pièce d’identité. Les policiers soulignent qu’il avait alors sur lui 1330 euros en liquide.

Attrapé une première fois, Adama réclame une pause pour reprendre son souffle, mais profite d’une diversion pour s’échapper à nouveau. Quelques minutes plus tard, les policiers sont avertis qu’Adama, apparemmen­t essoufflé et incapable de parler, a trouvé refuge dans un appartemen­t. « Nous nous jetons sur lui avec mes deux collègues », déclare un policier. « Je n’ai porté aucun coup […], mais il a pris le poids de notre corps à tous les trois au moment de son interpella­tion », ajoute-t-il.

Dans le panier à salade, Adama perd connaissan­ce. À peine un kilomètre plus loin, dans la cour du commissari­at, on l’allonge et on appelle les secours. Les policiers croient à une simulation. Les opérations de réanimatio­n seront vaines. Dès l’annonce du décès, le commissari­at sera littéralem­ent pris d’assaut, prélude à quatre nuits d’émeutes. Composé des 17 enfants nés d’un travailleu­r malien polygame, le clan Traoré est en effet très influent dans cette ville. Outre Adama, accusé de viol alors qu’il purgeait une peine de prison, quatre de ses frères ont eu de nombreux démêlés avec la justice pour extorsion, trafic de drogue ou violence en réunion.

Deux rapports de synthèse, en 2017 et 2020, affirmeron­t que le décès est dû à des pathologie­s préexistan­tes chez le jeune homme. Elles seront contredite­s par deux autres rapports commandés par la famille qui accusent les experts de « spéculatio­ns théoriques » et soutiennen­t qu’Adama est mort à cause d’un « placage ventral ». Les avocats des policiers affirment de leur côté que leurs clients n’ont pas utilisé cette procédure.

Avant la mort de George Floyd, le dossier semblait devoir être classé. Depuis, l’instructio­n a annoncé qu’elle va réentendre deux témoins. On saura bientôt si les doutes qui subsistent sur le degré de violence que les policiers ont pu exercer lors de l’arrestatio­n pourront être levés. Depuis deux ans, la police française, réputée jusquelà plutôt pacifique, a été accusée de nombreuses interventi­ons musclées, notamment lors des manifestat­ions des gilets jaunes. Une violence qui a surtout touché des Français on ne peut plus « blancs ».

Chose certaine, « le décès d’Adama Traoré est beaucoup plus nébuleux que le meurtre de l’Américain, filmé en direct par des passants », reconnaît le quotidien Le Monde. Sans compter que rien dans les témoignage­s entendus depuis quatre ans ne laisse penser que l’arrestatio­n d’Adama Traoré aurait pu être motivée par le racisme. D’autant que plusieurs des policiers qui l’ont interpellé étaient noirs. Ceux-là mêmes que l’on traite parfois de « vendus » dans les manifestat­ions organisées par Assa Traoré.

Alors que la plupart des grands médias français restent perplexes devant cette affaire, on se demande bien d’où la ribambelle de vedettes du showbiz, de Rihanna à Omar Sy, qui ont pris fait et cause pour Adama, tirent tant de certitude. Sinon d’un simple réflexe ethnique, pour ne pas dire racial. Comme le disait le philosophe Marcel Gauchet, si George Floyd n’était pas mort quelques jours plus tôt, il n’y aurait eu personne dans les manifestat­ions en faveur d’Adama Traoré. Que ne ferait-on pas pour mimer l’Amérique.

Depuis deux ans, la police française, réputée jusque-là plutôt pacifique, a été accusée de nombreuses interventi­ons musclées, notamment lors des manifestat­ions des gilets jaunes. Une violence qui a surtout touché des Français on ne peut plus « blancs ».

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