Le Devoir

Plus du tiers des espèces de poissons menacées par le réchauffem­ent du climat

- ALEXIS RIOPEL

On savait déjà que le réchauffem­ent des eaux créera des conditions invivables pour de nombreux poissons adultes. Les auteurs d’une nouvelle étude montrent maintenant que l’effet sera encore plus prononcé pour les embryons et les individus en reproducti­on. En conséquenc­e, même si l’humanité atteint ses cibles climatique­s actuelles, plus du tiers des espèces de poisson ne seront plus adaptées, à la fin du siècle, au milieu qu’elles occupent aujourd’hui.

L’équipe basée en Allemagne a constaté qu’il existe un « effet d’entonnoir thermique » dans le cycle de vie de la majorité des espèces de poissons. Alors que les larves et les adultes non géniteurs résistent relativeme­nt bien aux hausses de températur­e, les embryons et les adultes en période de reproducti­on y sont beaucoup plus sensibles : ces derniers peuvent tolérer, en moyenne, une fenêtre de températur­e moins large de 20 °C.

Les chercheurs sont arrivés à cette conclusion en analysant des études déjà existantes portant sur 694 espèces de poissons marins et d’eau douce. Afin de combler certaines données manquantes, ils ont extrapolé les valeurs d’autres espèces génétiquem­ent proches. La revue Science publie leurs résultats dans son édition de ce vendredi.

« La plus grande sensibilit­é des oeufs et des adultes en reproducti­on signifie que les poissons marins et d’eau douce vivent bien plus près de leurs limites thermales qu’on le pensait jusqu’à maintenant », juge Jennifer Sunday, une biologiste de l’Université McGill, qui signe une analyse accompagna­nt la publicatio­n dans la revue.

Dans le scénario où la concentrat­ion de CO2 dans l’atmosphère atteint 1000 parties par millions en 2100, 60 % des espèces ne peuvent plus réaliser leur cycle de vie entier dans leur environnem­ent actuel. Dans le scénario où la concentrat­ion

Nous ne verrons peut-être pas un déclin des population­s tout de suite, mais, un jour, l’effet pourrait se révéler tout »

à coup dramatique JENNIFER SUNDAY

de CO revient à son niveau de 2005 à la fin du siècle, seulement 10 % des espèces2vi­vraient ce drame.

« Très clairement, plusieurs espèces de poissons, de même que les personnes dont l’alimentati­on repose sur du poisson sain, bénéficier­aient d’une intensific­ation des efforts visant à stabiliser le réchauffem­ent climatique à 1,5 °C, voire moins », écrivent Flemming Dahlke et ses collègues de l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine.

Tous les poissons peuvent survivre dans une fourchette limitée de températur­es. Au-delà ou en deçà ces seuils, ils ont du mal à contrôler le niveau d’oxygène dans leur corps — ou, en d’autres termes, ils ont du mal à respirer. Lorsqu’il fait trop chaud, leur métabolism­e consomme trop d’oxygène ; lorsqu’il fait trop froid, leur corps n’arrive pas à transporte­r suffisamme­nt d’oxygène vers leurs tissus.

Puisque les embryons ont un système cardio-respiratoi­re encore en développem­ent, ils résistent à des écarts de températur­e moins grands. Les adultes qui produisent des ovules ou du sperme doivent quant à eux alimenter un corps plus massif, sans disposer d’une meilleure alimentati­on en oxygène.

Migrations périlleuse­s

En pratique, le dérèglemen­t climatique fait en sorte que les poissons devront se déplacer vers des eaux plus froides, ou encore tenter de s’adapter à leur environnem­ent local.

Pour les population­s qui resteraien­t en place, certains mécanismes leur permettron­t de compenser — du moins, temporaire­ment — la mort des embryons qui surchauffe­nt, explique Jennifer Sunday. « Les écologiste­s savent très bien que, même en temps normal, chacun des oeufs d’un poisson ne devient pas adulte, dit-elle en entretien. Nous ne verrons peut-être pas un déclin des population­s tout de suite, mais, un jour, l’effet pourrait se révéler tout à coup dramatique. »

Quant aux population­s qui seront forcées de se déplacer, rien n’indique qu’elles trouveront un nouvel habitat convenable. « Est-ce que leur nourriture s’y trouve ? Choisissen­t-elles leur frayère en fonction de la températur­e, ou parce qu’elles y trouvent de la bonne nourriture ? Un nouveau prédateur va-t-il manger leurs oeufs ? C’est très difficile de le prévoir », explique Mme Sunday.

Les auteurs de l’article publié vendredi avertissen­t que leurs prévisions sont probableme­nt conservatr­ices, car ils ne considèren­t pas la désoxygéna­tion, l’acidificat­ion, et la fréquence accrue d’épisodes de températur­es extrêmes que les climatolog­ues prévoient pour les prochaines décennies.

Par ailleurs, les poissons pourraient avoir du mal à s’alimenter. L’an dernier, une collaborat­ion internatio­nale de chercheurs, comprenant plusieurs Canadiens, estimait que chaque degré de réchauffem­ent amputerait la biomasse animale des océans de 5 %. Ils associaien­t ce déclin à un réchauffem­ent des eaux de surface limitant l’apport de nutriments depuis les couches plus profondes.

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