En colère contre les bars « délinquants »
La Nouvelle association des bars du Québec craint d’écoper pour la faute d’une poignée de propriétaires
Si les bars doivent fermer à nouveau, ce sera l ’hécatombe PIERRE THIBAULT »
L’application des mesures de distanciation physique à géométrie variable dans les bars du Québec inquiète des tenanciers et des experts, qui craignent une flambée de nouveaux cas de COVID-19.
La Direction de santé publique (DRSP) de la Montérégie était à la recherche dimanche de personnes ayant fréquenté le Mile Public House du quartier Dix30, à Brossard, le 30 juin dernier. « Plusieurs » clients ayant passé la soirée dans ce restaurant-bar et sur sa terrasse ont contracté le virus et pourraient avoir infecté d’autres personnes. Des images circulant sur les réseaux sociaux ont fait état d’une absence de distanciation physique dans l’établissement depuis sa réouverture.
La Montérégie est d’ailleurs la région où le nombre de nouveaux cas enregistrés dimanche est le plus élevé au Québec, soit 55 nouveaux cas par rapport à la veille, sur les 89 enregistrés à l’échelle de la province. Quelque 18 cas se sont ajoutés sur l’île de Montréal, qui a longtemps été l’épicentre de l’épidémie.
Le cas du Mile Public House a mis en colère le président de la Nouvelle association des bars du Québec, Pierre Thibault, qui n’a pas hésité à l’expulser du regroupement. « C’est exactement ce qu’on voulait éviter », lance-t-il, furieux.
Celui qui est aussi propriétaire de la Taverne Saint-Sacrement, sur le Plateau Mont-Royal, craint de voir le gouvernement faire marche arrière. « On ne peut pas écraser toute l’industrie à cause d’une poignée de propriétaires délinquants », dit-il, soulignant que la grande majorité des tenanciers redoublent d’efforts pour respecter les consignes sanitaires. « Si les bars doivent fermer à nouveau, ce sera l’hécatombe. Au moins trois établissements sur cinq ne tiendront pas le coup », avance M. Thibault.
Une visite de plusieurs artères commerciales de Montréal dimanche en fin de journée a permis en effet de constater que les bars, pubs et restaurants respectaient les règles. Certains ont réaménagé leur terrasse pour espacer les tables, d’autres ont installé des panneaux de Plexiglas lorsque la distance était insuffisante.
Un serveur souhaitant rester anonyme par peur de représailles a néanmoins confié au Devoir que certains clients lui donnaient du fil à retordre. « Le soir, à l’intérieur, quand le monde commence à être sur le party, les gens se rapprochent et laissent tomber la distanciation. Certains serveurs doivent les rappeler à l’ordre, mais ce n’est pas toujours évident. »
Des mesures plus strictes
« Après minuit, ce sont les fêtards, déjà affectés par l’alcool, car ils ont commencé à boire ailleurs. Ils restent debout pour jaser, ils sont collés, certains veulent cruiser, mais pas à deux mètres. Je perds le contrôle sur cette clientèle-là », confie de son côté Glen Legall, propriétaire du Glen Morgan’s Irish Pub à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Il s’était pourtant assuré d’espacer les tables à l’intérieur de son pub et sur la terrasse. Des mesures inutiles après une certaine heure et quelques verres.
Inquiet pour ses employés et ses clients, il a donc décidé de fermer son pub à minuit depuis samedi. « Je n’ai pas besoin de cette clientèle de fêtards qui ne respectent rien. On est encore en pandémie », s’insurge-t-il.
D’autres bars, notamment à Montréal, ferment aussi plus tôt pour être en mesure de garder le contrôle sur le déroulement de la soirée. D’autres fonctionnent sur la base de réservations, afin de garder une trace de qui a fréquenté leur établissement et quand. Dans le cas d’une éventuelle éclosion, il sera plus simple de contacter les clients.
Pour éviter que se reproduise un scénario comme celui du Mile Public House, Pierre Thibault propose de fermer les clubs et boîtes de nuit du Québec. Le gouvernement devrait en contrepartie offrir un soutien financier aux entrepreneurs pour traverser la crise. Il suggère aussi une présence policière accrue, pour surveiller et éventuellement sanctionner les clients et tenanciers récalcitrants.
Ces dérapages n’étonnent en rien la Dre Caroline Quach-Thanh, microbiologiste-infectiologue à l’Hôpital SainteJustine à Montréal. « Ce sont des espaces fermés. Une fois qu’on a pris un peu d’alcool, c’est impossible de faire respecter le deux mètres. En plus, on parle fort à cause de la musique alors on projette encore plus de gouttelettes. »
C’est d’ailleurs en raison de nouvelles éclosions dans des bars et des boîtes de nuit que certains États américains ont récemment fait marche arrière et ordonné la fermeture de ces établissements.
Le Québec devrait-il leur emboîter le pas ? « Dans une région froide, pas de problème pour les garder ouverts. Mais dans une région où les cas se multiplient, le gouvernement devrait y penser. Il va falloir suivre la situation de près », estime Mme Quach-Thanh.
Mais les bars ne sont pas la seule source du problème. Plusieurs plages ont été envahies dans les dernières semaines, rendant la distanciation physique quasi impossible. Dans les parcs, le « deux mètres » est plus facile à appliquer, mais n’empêche pas certains de retrouver leurs vieilles habitudes. Le Devoir a pu constater que plusieurs groupes d’amis ont déjà renoué avec la bise, l’accolade ou encore la poignée de main, déconseillées en temps de pandémie.
« Il est là le danger, laisser tomber les mesures de distanciation avec des gens qu’on connaît, qu’on n’estime pas à risque. Ce sont eux qui peuvent nous transmettre le virus, pas un simple inconnu », insiste la médecin. « Si on continue comme ça, le nombre de cas va remonter en flèche et on va devoir se reconfiner. »
Un avis partagé par Alain Vadeboncoeur, chef urgentologue à l’Institut de cardiologie de Montréal. D’après lui, la Santé publique et le gouvernement ont trop axé leur discours sur le nombre de décès liés à la COVID-19 et sur le fait que les personnes âgées sont les plus touchées.
Pourtant, nombre de jeunes dans la vingtaine ou la trentaine se sont retrouvés aux soins intensifs. « Les jeunes s’en sortent plus souvent, mais ils ne sont pas à l’abri d’être durement touchés par le virus. Certains ont passé une semaine ou plus intubés. Ils en ressortent très affaiblis et auront certainement des séquelles », indique le Dr Vadeboncoeur. « Les plus jeunes n’ont pas peur du virus. Peut-être qu’ils devraient. »
Je n’ai pas besoin de cette clientèle de fêtards qui ne
»
respectent rien. On est encore en pandémie.
GLEN LEGALL
Il est là le danger, laisser tomber les mesures de distanciation avec des gens qu’on connaît, qu’on n’estime
»
pas à risque
LA DRE CAROLINE QUACH-THANH