Le Devoir

Des inquiétude­s persistent chez les Premières Nations

Le plan de Québec « ne prend pas en considérat­ion des principes qui font consensus chez nous », estime Ghislain Picard

- PROJET DE LOI 61 KAARIA QUASH

Le projet de loi 61 que Québec redéposera cet automne pour relancer l’économie soulève plusieurs inquiétude­s chez les Premières Nations du Québec, malgré les promesses d’améliorati­ons du gouverneme­nt. Les Autochtone­s craignent toujours que la future loi permette d’imposer des projets sans respecter le processus de consultati­on.

« Le projet de loi ne prend pas en considérat­ion des principes qui font consensus chez nous, [et] la question des droits ancestraux est sous-traitée », affirme Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), en entretien avec Le Devoir. « C’est beaucoup plus ce que le projet de loi ne contient pas » qui inquiète l’APNQL.

Depuis sa tentative ratée de faire adopter le projet de loi rapidement en juin, Québec assure s’être mis à l’écoute et promet que la loi sera « améliorée » lors du retour du projet à l’étude en septembre.

« C’est certain qu’on avait déjà des amendement­s à proposer à la suite des commentair­es qu’on a entendus en consultati­on », affirme Antonine Yaccarini, directrice des communicat­ions de la nouvelle présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. « Le projet était voué à bouger, puis à être amélioré. »

Impossible toutefois de savoir si les modificati­ons répondront aux préoccupat­ions précises des Premières Nations. Québec dit ne pas être prêt à « annoncer [ses] orientatio­ns pour le projet de relance économique ». Cependant, « le gouverneme­nt du Québec entend respecter ses obligation­s en matière de consultati­on, et la relance économique doit être au bénéfice de tous », souligne Mme Yaccarini.

L’obligation du gouverneme­nt

En juin, M. Picard avait soutenu en commission parlementa­ire que « le contexte exceptionn­el d’une pandémie ne dispense en aucun cas les gouverneme­nts fédéral et provincial de respecter leurs obligation­s envers les droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations ».

Selon des lettres de plusieurs groupes autochtone­s envoyées au gouverneme­nt du Québec, le projet de loi tel qu’il est actuelleme­nt « ne prévoit pas de consultati­on autochtone préalable » dans la mise en oeuvre des projets de constructi­on, et il permettra au gouverneme­nt la « modificati­on accélérée et unilatéral­e des limites » des parcs nationaux.

Déposé en juin, le projet de loi 61 vise à accélérer la relance économique, dans la foulée de la pandémie de COVID-19. Les critiques ont entre autres dénoncé l’obtention de pouvoirs gouverneme­ntaux quasi illimités dans l’attributio­n des contrats publics, en plus des effets nuisibles sur l’environnem­ent. Il autorisera­it notamment la destructio­n de la faune et de la flore en échange d’une compensati­on financière, tout comme il facilitera­it l’évaluation environnem­entale de plusieurs projets.

La session a été suspendue avant que les partis d’opposition n’adoptent le principe du projet de loi, mais Québec entend le déposer de nouveau dans les prochains mois.

« On va revenir avec notre projet de loi à l’automne », a dit le premier ministre Legault.

En quête d’équilibre

L’APNQL n’est pas contre la relance économique, mais espère que les Autochtone­s seront « écoutés, entendus, et considérés » dans les travaux qui vont venir. « L’important [est] que le gouverneme­nt soit à l’écoute des Premières Nations », souligne Mira Levasseur-Moreau, avocate-conseil chez l’APNQL. « On recherche un équilibre entre la relance économique et la protection du territoire. Il faut que ça se fasse en tout respect. »

Mme Moreau estime que le projet de loi 61 contrevien­t à plusieurs dispositio­ns légales, notamment « le droit à l’autodéterm­ination » de l’article 3 de la Déclaratio­n de l’ONU sur les droits des peuples autochtone­s, et l’article 35 de la Constituti­on canadienne, qui reconnaît les droits ancestraux des Autochtone­s. « Au minimum, le projet de loi devrait reconnaîtr­e que ces [lois] internatio­nales existent », soutient M. Picard.

Mais un flou subsiste autour de l’article 35, explique Konstantia Koutouki, professeur­e en droit à l’Université de Montréal. « Il y a tout un débat [sur] ce que ça veut dire. » Elle insiste sur le fait que l’article 35 ne prévoit pas la protection absolue des droits des Autochtone­s, et que « le gouverneme­nt peut toujours enfreindre le titre autochtone dans certaines circonstan­ces. Le projet de loi 61, en donnant au gouverneme­nt une plus grande latitude décisionne­lle, exacerbe encore ce déséquilib­re de pouvoir déjà existant dans la loi », ce qui ajoute à la vulnérabil­ité des peuples autochtone­s.

« Il est toujours possible que le gouverneme­nt [tente] d’en profiter au détriment des communauté­s autochtone­s — c’est l’histoire du Canada », ajoute-t-elle.

Projets controvers­és

Au sein des préoccupat­ions immédiates pour les Premières Nations se trouvent deux projets sur la liste des 202 recensés dans la législatio­n : la reconstruc­tion du pont Honoré-Mercier entre Montréal et Kahnawake, et la constructi­on d’un centre d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD) à Maniwaki en Outaouais.

D’après une lettre déposée par le Conseil des Mohawks de Kahnawake (CMK), la reconstruc­tion du pont Mercier selon les conditions du projet de loi « violerait les termes du protocole d’accord entre le CMK et le Québec ». Kahnawake demande ainsi au gouverneme­nt de « retirer le projet de reconstruc­tion du pont Mercier » du projet de loi 61.

« Le projet de reconstruc­tion du pont Mercier se déroule sur le territoire Mohawk et est assujetti à la juridictio­n et aux exigences mohawks », peut-on lire dans la lettre. « Les Mohawks de Kahnawake ne permettron­t pas à ce projet de se poursuivre selon les processus identifiés dans le projet de loi 61. »

« [Le gouverneme­nt] veut reconstrui­re le côté sud du pont Mercier et, nous aussi, on pense que c’est important pour nous. Mais pas au détriment de nos droits », dit Ross Montour, un des chefs à Kahnawake. « On n’essaye pas de mettre un veto aux projets, on insiste simplement pour être consultés en ce qui concerne les implicatio­ns des projets, et voir comment atténuer, comment protéger, comment accommoder pour protéger nos droits. »

Il est toujours possible que le gouverneme­nt [tente] d’en profiter au détriment des

»

communauté­s autochtone­s — c’est l’histoire du Canada

KONSTANTIA KOUTOUKI

On n’essaye pas de mettre un veto aux projets, on insiste simplement pour être

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consultés en ce qui concerne les implicatio­ns des projets

ROSS MONTOUR

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