Le Devoir

Les chamboulem­ents multiforme­s de la COVID-19

La pandémie a produit des changement­s pédagogiqu­es plus grands qu’une réforme éducative, croit Ann-Louise Davidson

- MAGDALINE BOUTROS LE DEVOIR

La COVID-19 a fait voler en éclats bien des certitudes, dont celle d’un système d’éducation évoluant selon un modèle établi il y a plus de 200 ans. « On a été dérangés à grande échelle […] Un virus, c’est plus grand qu’une réforme », souligne Ann-Louise Davidson, professeur­e au Départemen­t des sciences de l’éducation de l’Université Concordia. Les chamboulem­ents ont été multiforme­s, estime-t-elle : dans les rôles, dans le rapport au contenu et dans le rapport à l’espace.

« On connaît un format d’éducation et on pense que c’est “le” format. Mais on oublie que c’est un format parmi tant d’autres », rappelle d’entrée de jeu cette experte de la pédagogie.

Et avec la bombe à fragmentat­ion qui a éclaté au printemps, le rappel a été pour le moins brutal.

Devant l’urgence, Ann-Louise Davidson a proposé à ses étudiants à la maîtrise de changer du tout au tout leur travail de fin de session. « Je leur ai demandé de collaborer avec moi pour aider les professeur­s [de Concordia] à effectuer la transition vers l’enseigneme­nt en ligne. »

Les besoins, criants, étaient directemen­t là sous leurs yeux. « Au Centre for Teaching and Learning [de Concordia], il y avait 4 employés. Et ils devaient aider 200 enseignant­s à offrir des cours en ligne ! »

Une initiative qui a donné des résultats tangibles immédiatem­ent, mais aussi à long terme. « Ils ont tous été embauchés par la suite [19 étudiants] à des postes de concepteur­s pédagogiqu­es pour faire de la formation juste à temps (just-in-time) [intégrée rapidement] », explique leur professeur­e, qui s’en réjouit.

Rapport au temps et aux rôles

Selon Ann-Louise Davidson, bien des remises en question qui ont accompagné la COVID ce printemps ont transcendé les niveaux d’éducation — allant du primaire jusqu’à l’université.

« Quand on enseigne, on remplit du temps pour s’assurer que l’élève a bien compris », mentionne-t-elle. « On est pris avec des contrainte­s, mais ce n’est pas vrai qu’on a toujours besoin de remplir 45 minutes ou 75 minutes de cours [pour intégrer une matière]. » Celle qui a aussi enseigné au primaire et au secondaire en Ontario croit que la pandémie a permis d’ouvrir une brèche pour assouplir le rapport au temps dans le milieu de l’éducation.

« Est-on capables de repenser le temps alloué à l’enseigneme­nt en se demandant si l’élève a vraiment besoin d’être pendant sept heures tous les jours à l’école ? », lance-t-elle.

La professeur­e estime que le rôle dévolu aux enseignant­s devrait également être recentré. « On voit la profession d’enseignant comme une vocation, un dévouement, sans vraiment comprendre ce qu’ils font. Et ils font beaucoup trop d’administra­tion, alors qu’ils devraient passer plus de temps à réfléchir à leur pédagogie et à passer du temps avec les jeunes. »

Parallèlem­ent, la relation d’apprentiss­age doit être profondéme­nt réinventée, croit Ann-Louise Davidson. « Ceux qui faisaient de l’enseigneme­nt directif, de la transmissi­on de connaissan­ces ont vite vu [avec l’enseigneme­nt à distance pendant la COVID-19] que les élèves étaient désengagés, peu importe le niveau. »

Un changement de paradigme est nécessaire, lance-t-elle. « Souvent, en éducation, on souffre de narration. Puisque, moi, j’ai compris, je vais narrer devant l’élève ce que j’ai compris. » Il est toutefois nécessaire de renverser cette manière de penser la pédagogie, croit-elle. « Il faut plutôt réfléchir à la façon dont l’élève ou l’étudiant va comprendre [et trouver là où il va bloquer], plutôt que de se demander comment, moi, je vais expliquer. »

Les pistes de réflexion sont donc là, et les chantiers, nombreux. Le système d’éducation est un énorme paquebot difficile à faire bouger, ne cesse-t-on de rappeler. « Mais j’espère qu’on sera capables de développer une intelligen­ce stratégiqu­e en éducation qui va aller au-delà des pressions exercées par les syndicats et des lois qui imposent ceci ou cela. Il faut une vraie réflexion menée par des pédagogues. »

On voit la profession d’enseignant comme une vocation, un dévouement, sans vraiment comprendre ce qu’ils »

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ANN-LOUISE DAVIDSON

Ce contenu est réalisé en collaborat­ion avec l’Université Concordia.

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