Bon débarras
L’annonce d’Air Canada d’une « suspension indéfinie » de la presque totalité de ses dessertes régionales au Québec a eu l’effet d’un électrochoc. Mais ce départ cavalier est sans doute un mal pour un bien. On ne sait encore s’il ne s’agit pas d’une manigance de la part de l’ancienne société d’État canadienne, privatisée dans les années 1990 à la faveur d’une déréglementation économique du secteur. En effet, l’hypothèse circule qu’Air Canada, qui affiche la même arrogance que le Canadien National, une autre société d’État fédérale privatisée à la même époque, veut simplement obtenir un meilleur programme d’aide d’Ottawa à la suite de la pandémie. Ce serait là un odieux chantage, mais ce n’est pas impossible, puisque seul l’intérêt de ses actionnaires lui importe.
C’est d’ailleurs là où le bât blesse. Pour les régions éloignées, le transport aérien est un service public essentiel et un élément indispensable non seulement pour leur développement économique, mais pour assurer des services de santé complets à leur population. Air Canada, à moins d’y être forcée, n’a pas de temps à perdre avec de telles considérations. Depuis l’impitoyable annonce, le gouvernement caquiste est à pied d’oeuvre. François Legault connaît bien le secteur et il s’est fait fort de rappeler qu’avant son passage à Air Transat, il a travaillé pour le transporteur régional Québecair, jadis propriété de l’État québécois. Rien n’est exclu, y compris la création d’une nouvelle société d’État. Il va de soi que ce n’est pas ce qui est envisagé à court terme. Et ce n’est pas forcément ce qui est souhaitable à terme.
Le premier ministre souhaite négocier avec des compagnies aériennes qui seraient prêtes, en contrepartie de subventions, à assurer des vols fréquents et des tarifs raisonnables.
Québec subventionne déjà le transport aérien régional. Le ministère des Transports offre un remboursement de 60 % du prix de leur billet aux voyageurs qui résident dans les régions les plus éloignées, et de 30 % à ceux qui habitent d’autres régions. Il existe un programme, qui n’a pas encore été utilisé, le PADAR (Programme d’aide pour les dessertes aériennes régionales), doté de 22,5 millions, qui est justement destiné à subventionner la création de nouvelles lignes.
Le gouvernement québécois est aussi engagé, à hauteur de 100 millions sur quatre ans, dans la réfection des aéroports régionaux. À la faveur de son dégagement amorcé dans les années 1990, le gouvernement fédéral a cédé ses aéroports aux municipalités ou aux MRC. C’était ça ou la fermeture.
Si Québec subventionne le transport aérien régional, il n’a aucune emprise sur les prix des billets. De fait, Air Canada exerçait un quasimonopole et n’hésitait pas à abaisser ses tarifs quand un petit transporteur se pointait pour le concurrencer dans une de ses dessertes, le chassant pour ensuite relever ses tarifs. C’est une tactique classique que d’aucuns jugent déloyale. Selon une analyse de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), 67 % des liaisons québécoises sont assurées par une seule compagnie, contre 33 % dans le reste du Canada. Et les tarifs pour les vols régionaux sont plus chers de 55 %. Les frais aéroportuaires et autres charges sont aussi très élevés.
Avant même la COVID-19, le transport aérien régional était mal en point, ce qui avait amené l’UMQ à organiser en 2016 une grande conférence sur l’avenir de la filière. Après l’annonce d’Air Canada, l’UMQ a formé une « cellule de crise » avec l’Alliance de l’industrie touristique du Québec, la Fédération des chambres de commerce du Québec et le Réseau québécois des aéroports.
Le gouvernement fédéral a peut-être livré le transport aérien régional aux seules lois du marché, mais c’est un champ de compétence dont il est le responsable. Vendredi, Justin Trudeau s’est dit « déçu » de la décision d’Air Canada, qui touche non seulement le Québec, mais les provinces maritimes et certaines liaisons en Ontario et dans l’ouest du pays. Ne proposant aucune solution, il a dit « espérer » que le transporteur reprenne ses liaisons. Des élus fédéraux québécois, dont la ministre et députée de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine Diane Lebouthillier, qui comptent sur ces liaisons pour exercer pleinement leurs fonctions sont outrés. Ottawa doit prendre ses responsabilités et aider Québec à restructurer le secteur.
Ainsi, l’occasion est trop belle de revoir en profondeur le transport aérien régional au Québec. Cela peut se faire sans Air Canada, dont les comportements monopolistiques ont contribué à la détérioration de ce service essentiel. Il y a sans doute des compagnies aériennes plus petites qui seraient prêtes à s’engager à tenir compte de l’intérêt public en contrepartie d’une aide raisonnable et prévisible de l’État.