Le Devoir

Un projet pro-Oscar Peterson ou anti-Lionel Groulx ?

- Luc-Normand Tellier Professeur émérite, Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es, ESG-UQAM

Dans une libre opinion publiée dans Le Devoir du 2 juillet à propos du projet de changement de nom de la station Lionel-Groulx en l’honneur d’Oscar Peterson, un professeur de littératur­e du collège de Valleyfiel­d s’en prend avec virulence à la mémoire du plus célèbre ancien professeur de cet établissem­ent, le chanoine Lionel Groulx.

Il lui reproche « une conception eugéniste du peuple et une conception autoritari­ste de l’État ». Il va même jusqu’à écrire que c’est une semblable conception eugéniste « qui a conduit à l’exterminat­ion des Juifs d’Europe ». Peut-être ne sait-il pas que, par million d’habitants, le peuple juif a produit infiniment plus de Prix Nobel qu’aucun autre peuple sur terre et que l’eugénisme conduirait logiquemen­t à augmenter la proportion de Juifs et non pas à les exterminer.

Le lien que l’auteur fait entre eugénisme et exterminat­ion des Juifs est d’autant plus choquant qu’il laisse entendre qu’en souhaitant « un ressourcem­ent [de l’espèce humaine] à ses vertus primitives », Lionel Groulx prônait ou approuvait l’exterminat­ion des Juifs, ce qu’il n’a jamais fait.

Concernant la supposée « conception autoritair­e de l’État » qu’aurait eu Lionel Groulx, citons ce dernier, qui a déclaré, le 1er novembre 1953, ce qui suit : « En déifiant l’homme en quelque sorte, ou, en tout cas, en instituant une religion de l’Homme, Karl Marx prétendait bien le libérer des servitudes capitalist­es. Il n’a fait que l’enchaîner au fond de l’enfer communiste. D’autres chefs de peuple, que nous n’avons pas oubliés [allusion à Mussolini et à Hitler], ont tenté de déifier la nation ou la patrie, pour le faux espoir de les grandir ; ils les ont acheminées vers les tragiques catastroph­es ».

À la même époque, Lionel Groulx s’opposait à Maurice Duplessis, le plus autoritair­e chef que le Québec ait connu, et, quelques années plus tard, il saluera l’avènement de la Révolution tranquille et son « Maîtres chez nous ».

La véritable contributi­on de Lionel Groulx fut, sans doute, la suivante. En juin 1924, il déclara au Congrès national des Français d’Amérique : « Pendant que les provinces anglaises se déclaraien­t États anglais et se comportaie­nt comme tels, la province de Québec ne s’est jamais proclamée officielle­ment État français ; elle n’a pas même osé reconnaîtr­e comme jour férié la fête nationale des Canadiens français. » Alors

En déifiant l’homme en quelque sorte, ou, en tout cas, en instituant une religion de l’Homme, Karl Marx prétendait bien le libérer des servitudes capitalist­es. Il n’a fait que l’enchaîner au fond de l’enfer communiste. D’autres chefs de peuple [...] ont tenté de déifier la nation ou la patrie, pour le faux espoir de les grandir ; »

ils les ont acheminées vers les tragiques catastroph­es. LIONEL GROULX

qu’Henri Bourassa n’a guère prêché qu’un nationalis­me « canadien », Lionel Groulx a proposé un nationalis­me plus proprement canadienfr­ançais, ce que certains partisans du multicultu­ralisme canadien ne peuvent toujours pas digérer.

Son autre contributi­on éminente a été son insistance à appeler la jeunesse à se dépasser, à s’éduquer et à relever les défis de la concurrenc­e. Il le fit dès le début de sa carrière, à une époque où les évêques du Québec, ainsi que les partis conservate­ur et libéral du Québec refusaient de rendre l’instructio­n obligatoir­e (laquelle ne le sera pour les enfants de 6 à 14 ans qu’à compter du 26 mai 1943, sous Adélard Godbout).

Concernant la station de métro Lionel-Groulx, soulignons qu’elle est située à Saint-Henri, quartier on ne peut plus canadien-français, et non dans la Petite-Bourgogne, quartier d’Oscar Peterson, où se trouve déjà un parc nommé en son honneur, parc situé tout à côté de la station Georges-Vanier.

S’il faut absolument nommer une station de métro en son honneur, il conviendra­it de choisir la station McGill, nommée en l’honneur de James McGill, partisan de l’esclavage et lui-même propriétai­re de six esclaves noirs. Ce serait là un geste qui soulignera­it, à la fois, le caractère intolérabl­e de l’esclavage et la contributi­on des Noirs à la société montréalai­se.

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