Le lien famille-école, un péril en la demeure
Dans une lettre adressée au ministre Roberge parue ici le 27 juin dernier, Camil Bouchard fait remarquer à juste titre que le lien famille-école, défi persistant qui touche particulièrement les milieux défavorisés ou ceux qui accueillent de nouveaux arrivants, sera particulièrement crucial lors de la prochaine rentrée qui aura lieu dans le contexte que l’on sait.
Il dit qu’il est nécessaire d’agir dès maintenant pour le renforcer et il propose pour ce faire d’embaucher des centaines d’agents de liaison entre les enseignants et les familles. Nous sommes à l’écoute : qui seront ces agents de liaison ? Quelle sera leur formation ? Quel sera leur mandat ? Et surtout, comment s’assurer qu’ils soient dès septembre aptes à assumer réellement le rôle qu’on leur confiera ?
Cette idée est bonne, et c’est pourquoi de véritables agents de liaison existent déjà : ce sont les partenaires trop souvent méconsidérés et sousfinancés qui agissent précisément dans ce filon, et j’entends par là la multitude d’organismes communautaires voués à la réussite scolaire, à l’intégration socioculturelle, à la francisation et aux autres enjeux de relation famille-écolecommunauté.
Parmi les facteurs qui expliquent l’arrimage difficile entre l’école et les familles, on trouve les écarts linguistiques et culturels qui les éloignent. La culture n’est bien sûr pas qu’une question ethnique : elle marque les différents milieux socioéconomiques ainsi que les institutions. On peut aisément comprendre que la culture scolaire, incarnée notamment par des enseignants au minimum bacheliers, souvent d’origine canadienne-française et qui représentent une figure d’autorité, diffère de celle de nombreuses familles québécoises. M. Bouchard remarque qu’encore aujourd’hui, pour nombre de familles, l’école est « l’institution des autres ». On peut espérer vaincre cet état de fait à moyen ou à long terme, mais demain matin, cette perception n’aura pas changé, et des agents de liaison engagés par les écoles ne régleront vraisemblablement pas ce problème.
On néglige souvent, en éducation comme ailleurs, cette intuition fondamentale qui nous rappelle que la confiance se bâtit dans la durée et qu’elle s’appuie sur la fiabilité. Des organismes communautaires reconnus, et dont les services et la pérennité devraient enfin être assurés par un financement substantiel et récurrent, sont les mieux placés pour agir précisément là où l’école ne parvient pas à tailler sa place.
Nombre d’organismes communautaires ont déjà tissé cette relation de confiance avec les familles et le milieu scolaire et ont élaboré des structures qui leur permettent d’être efficaces dans l’atteinte de cet objectif de liaison. Plusieurs partenariats entre ces organismes et le milieu scolaire sont déjà en place dans toutes les régions du Québec et dans les quartiers où habitent les élèves les plus vulnérables, et ils prennent forme à échelle humaine, de manière concrète et adaptée aux besoins propres à chaque milieu. Ces organismes n’ont pas eu à attendre, par exemple, la tardive directive du ministre pour lancer des initiatives semblables aux camps d’été pédagogiques, et des programmes d’aide aux devoirs, ou encore du soutien psychosocial pour les adolescents à risque de décrochage, entre autres services essentiels, qui sont déjà bien implantés dans divers milieux.
Bien sûr, les organismes communautaires ne sont que l’une des solutions à un enjeu complexe. Ce sont des partenaires essentiels d’une école qui doit aussi tendre plus et mieux la main pour mériter, sans médiation, cette confiance que leur accorderont les familles d’élèves plus vulnérables. Ils ne remplaceront pas des classes et des écoles ouvertes, dans lesquelles les parents sont toujours les bienvenus et invités à participer, comme cela est répandu notamment dans le réseau des écoles publiques alternatives ; ils ne remplaceront pas les professionnels scolaires, qui seraient en mesure de jouer avec plus d’intensité ce rôle de liaison qu’ils jouent déjà auprès des parents d’enfants en difficulté d’apprentissage et d’adaptation s’ils étaient plus nombreux et si on leur en donnait les moyens ; et surtout, ils ne remplaceront pas les enseignants, qui sont les premiers intervenants dans la vie de l’élève et qui ne demandent rien de mieux que d’avoir moins d’enfants à charge et plus de temps pour remplir leur rôle auprès des enfants et des familles.
On doit résister à la tentation de créer, dans l’urgence, de nouveaux postes mal définis qu’on peinera à pourvoir et qui serviront finalement à bien peu de choses, sinon à soigner l’image de nos dirigeants qui prétendront avoir agi. Certes, il y a péril en la demeure, mais un autre péril nous guette lorsqu’on fait fi de cette sagesse séculaire qui nous enjoint de nous hâter lentement : celui d’augmenter le cynisme dans le milieu éducatif et auprès des familles elles-mêmes. Ce qui est urgent, c’est de tirer profit de ce qui existe déjà et qui ne demande rien de plus que d’avoir les moyens d’agir. Soyons francs : ce ne sont pas les bonnes idées et le dynamisme qui manquent en éducation au Québec, c’est d’être un réseau décentralisé et adéquatement — c’est-à-dire massivement et durablement — financé.