Le Devoir

Cessez de sacrifier les enfants en difficulté

- Julien Prud’homme Professeur et directeur, Départemen­t des sciences humaines de l’UQTR

En ce moment, des ergothérap­eutes et des psychoéduc­atrices qui devraient aider des enfants d’âge préscolair­e et leurs familles vulnérable­s sont contrainte­s de négliger leur clientèle pour désinfecte­r des tables et surveiller les couloirs de centres d’hébergemen­t. Par conséquent, des centaines d’enfants de trois à cinq ans présentant des troubles de langage ou de comporteme­nt sont privés des services de réadaptati­on auxquels ils ont droit avant d’entrer à l’école. Cette situation scandaleus­e découle du choix délibéré de certains CIUSSS, notamment à Montréal.

Pourquoi ? En mars, au début de la pandémie, les profession­nelles de centres de réadaptati­on et de CLSC ont été retirées de leurs tâches habituelle­s et envoyées prêter main-forte en CHSLD ou dans d’autres lieux d’hébergemen­t. À ce moment-là, la mesure se défendait : leurs thérapies auprès des enfants avaient été annulées pour des raisons sanitaires, et ces orthophoni­stes, ergothérap­eutes ou psychoéduc­atrices ne servaient donc, temporaire­ment, « à rien ». Autant s’en servir en CHSLD, où les besoins étaient manifestes. Elles n’ont pas rechigné, assumant des tâches éprouvante­s. Leurs patients habituels et leurs familles sont restés sans services, sans se plaindre non plus — dociles.

Mais nous voici trois mois plus tard, et la situation a changé. Des profession­nelles restées derrière ont fait un travail remarquabl­e pour inventer des services à distance, qui fonctionne­nt : on peut, maintenant, aider les enfants. La crise en CHSLD est résorbée. La logique veut qu’on retourne dare-dare les orthophoni­stes, ergothérap­eutes et psychoéduc­atrices à leur tâche première, qui est de mettre des enfants en difficulté sur la bonne voie avant qu’ils ne se heurtent à un mur. Ces enfants n’auront quatre ans qu’une seule fois, il ne faut pas les manquer. Le ministère de la Santé lui-même a formulé des directives indiquant que la réadaptati­on des difficulté­s de langage devait reprendre auprès des enfants.

Le problème ? Des CIUSSS retardent sciemment le retour des profession­nelles de réadaptati­on. Par choix, par facilité, par mépris des directives. Maintenir, quelques semaines de plus, des ergothérap­eutes, des éducatrice­s ou des orthophoni­stes dans des rôles de préposées simplifie la vie de certains gestionnai­res. À Montréal, des profession­nelles spécialisé­es qui devraient aider des enfants demeurent captives de tâches de préposées dans des centres d’hébergemen­t pour adultes, comme le Centre Gingras-Lindsay. Ça simplifie l’administra­tion et, comme les parents d’enfants lésés ne sont pas en position de se plaindre…. Pour faire passer la pilule, le CIUSSS finasse, offrant une interpréta­tion tordue des directives ministérie­lles ou égrenant des miettes de services pour embellir les statistiqu­es.

Mais le résultat est le même : des centaines d’enfants ne reçoivent pas les services pour lesquels des thérapeute­s, qui ne demandent que cela, seraient disponible­s si les CIUSSS daignaient s’en préoccuper. Des parents qu’on a laissés dans le noir durant des mois recevront bientôt une lettre les avisant poliment qu’on les a floués, que les directives ministérie­lles comptent pour du beurre et que leur enfant sera passé par pertes et profits. Pire : le temps file et, si on ne rapatrie pas les profession­nelles dès maintenant, c’est l’automne qui pourrait être compromis.

L’urgence est claire : il faut rapatrier toutes les profession­nelles de la réadaptati­on pédiatriqu­e et leur permettre de faire leur travail. Dans tous les CIUSSS et CISSS du Québec, sans exception. À en croire M. Legault, le changement de ministre à la Santé a pour but de reprendre le contrôle du réseau. Voilà une bonne occasion pour le ministre Christian Dubé de signifier aux CIUSSS quelles sont ses véritables priorités.

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ISTOCK Des centaines d’enfants de trois à cinq ans présentant des troubles de langage ou de comporteme­nt sont privés des services de réadaptati­on auxquels ils ont droit.

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