Les conservateurs réclament une enquête criminelle sur Trudeau
Le premier ministre s’enfonce à nouveau dans un bourbier éthique. Le Parti conservateur a demandé vendredi à la police fédérale d’ouvrir une enquête criminelle, un jour après que l’organisme UNIS — choisi pour administrer un programme fédéral de 900 millions — a confirmé avoir payé plus de 250 000 $ à la famille de Justin Trudeau pour sa participation à des événements au fil des ans.
« Le premier ministre s’est comporté de la façon d’un dictateur qui aide ses amis », a déclaré vendredi avant-midi Pierre Poilievre, le porte-parole conservateur en matière de finances. Quelques heures plus tard, son collègue Michael Barrett envoyait une lettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) réclamant une enquête sur la possibilité d’infractions criminelles liées aux transactions entre la famille Trudeau et l’organisme UNIS (WE Charity, en anglais), voué au bien-être des enfants.
Controverse
Le gouvernement est dans la tourmente après avoir accordé (sans appel d’offres) à cette oeuvre de charité un contrat, le 25 juin, pour administrer un programme de près d’un milliard de dollars visant à inciter les étudiants canadiens à faire du bénévolat dans la foulée du Grand Confinement.
Pour prendre en charge le dossier, l’organisme, pour lequel Justin Trudeau et Sophie Grégoire sont des orateurs fréquents, devait toucher 19,5 millions. M. Trudeau a expliqué le choix d’UNIS en disant que c’était « la meilleure et la seule » organisation au pays pour remplir le mandat.
Le 3 juillet, en réponse apparente aux allégations de conflit d’intérêt, le gouvernement a annoncé l’annulation du contrat. Le jour même, le Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mario Dion, déclarait ouvrir une enquête sur l’affaire.
Le gouvernement n’était pas au bout de ses peines. Jeudi, UNIS confirmait des informations révélées par la presse concernant la rémunération offerte à la famille Trudeau. Margaret Trudeau, la mère du premier ministre, a reçu environ 250 000 $ pour 28 apparitions publiques de 2016 à 2020. Alexandre Trudeau, le frère du chef de gouvernement, a touché 32 000 $ pour 8 événements. Quant à Sophie Grégoire, elle a obtenu 1400 $ pour une apparition en 2012.
La veille, le bureau du premier ministre certifiait pourtant au quotidien The Globe and Mail que Justin Trudeau et sa femme « n’avaient jamais été payés par UNIS », mais que l’organisme caritatif remboursait les frais de déplacement de Mme Grégoire.
Des proches de Morneau aussi
Vendredi, on apprenait que des liens unissaient également UNIS et la famille du ministre des Finances. L’une des filles de Bill Morneau, Clare Morneau, a pris la parole lors d’événements de l’organisme dans le contexte de la sortie de son livre sur de jeunes réfugiées. Elle n’a jamais obtenu d’argent en contrepartie, selon Maéva Proteau, l’attachée de presse du ministre.
L’autre fille de M. Morneau, Grace Acan, est pour sa part une employée contractuelle d’UNIS. « Elle a obtenu ce poste grâce ses propres mérites, assure Mme Proteau dans un courriel. […] Le contrat de Mme Acan n’a absolument aucun lien avec les travaux que l’organisme a effectués avec le gouvernement du Canada. » Tout comme Justin Trudeau, le ministre Morneau ne s’est pas récusé des discussions concernant la sous-traitance du programme de bénévolat.
Contacté vendredi par Le Devoir, le bureau de Justin Trudeau n’a pas formulé de réaction concernant la lettre des Conservateurs à la GRC. La police fédérale s’est aussi abstenue de tout commentaire.
Dans sa missive, le parti d’Andrew Scheer dit considérer que deux passages du Code criminel pourraient avoir été enfreints. Le premier (corruption de fonctionnaires judiciaires), proscrit à un membre en exercice du parlement d’accepter, pour lui ou un proche, une « contrepartie valable » en échange d’une chose qu’il fait ou s’abstient de faire en sa qualité officielle. Il est aussi criminel de donner ou d’offrir un tel avantage à un parlementaire. Le second passage souligné par les conservateurs (fraudes envers le gouvernement) stipule des exigences semblables à l’endroit des fonctionnaires.
Pour Justin Trudeau, la pression continue ainsi de monter. Jeudi soir, le Bloc québécois lui demandait de se retirer, le temps que « toute enquête que les allégations commandent » soit menée et de laisser dans l’intervalle les rênes du Canada à la vice-première ministre, Chrystia Freeland.
C’est la troisième fois que le commissaire à l’éthique déclenche une enquête sur Justin Trudeau depuis 2015. Dans les deux premiers cas, le chien de garde a conclu que M. Trudeau avait enfreint le Loi sur les conflits d’intérêts.
La première infraction découlait du séjour du premier ministre sur l’île privée de l’Aga Khan, un philanthrope ayant des liens avec le gouvernement canadien. La seconde se rapportait à l’affaire SNC-Lavalin, quand le commissaire Dion concluait que M. Trudeau s’était prévalu de sa position d’autorité sur l’ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould pour la faire revenir sur sa décision concernant un accord de réparation avec la firme d’ingénierie.
En moyenne, il faut sept mois au commissaire à l’éthique pour mener son enquête.