Le Devoir

Un déficit record pour éviter encore pire

Avec un trou de 343 milliards de dollars, le déficit canadien représente 16 % du PIB

- MARIE VASTEL À OTTAWA

L’autre possibilit­é aurait été de moins dépenser, d’avoir des programmes d’aide différents, mais j’ai l’impression que l’on aurait alors été confronté à d’autres enjeux : le risque de voir une hausse importante des faillites personnell­es et commercial­es

Le déficit fédéral a atteint un niveau historique, en raison des nombreuses mesures d’aide pour affronter la pandémie. L’ancien directeur parlementa­ire du budget, Kevin Page, consent que le chiffre de 343 milliards de dollars est énorme. Mais il estime qu’Ottawa a bien fait de dépenser autant pour éviter que la crise ne frappe les Canadiens encore plus fort car, autrement, les conséquenc­es auraient plombé l’économie du pays pendant des années.

« Le chiffre est incroyable­ment élevé », observe M. Page, qui s’en avoue encore étonné. « C’est 16 % du PIB. C’est deux fois plus gros que tous les déficits que j’ai vus dans ma vie », résume au Devoir cet économiste et ancien fonctionna­ire qui a servi comme directeur parlementa­ire du budget à Ottawa de 2008 à 2013.

Le ministre des Finances, Bill Morneau, a dévoilé mercredi que le déficit atteindra le chiffre record de 343 milliards de dollars cette année et la dette 1200 milliards de dollars. À titre de comparaiso­n, lors de sa dernière mise à jour en décembre, M. Morneau avait prédit un déficit de 28 milliards pour l’année 2020-2021.

Or, depuis le début de la pandémie, le gouverneme­nt a consacré 230 milliards de dollars en mesures d’aide directe aux particulie­rs et aux entreprise­s. Ce qui, selon M. Page, a permis aux citoyens de rester chez eux, aux entreprise­s de fermer leurs portes, et d’ainsi maîtriser la première vague du coronaviru­s tout en évitant que les familles et les employeurs fassent faillite. Le gouverneme­nt rapportait justement vendredi que le nombre de dossiers d’insolvabil­ité a diminué de 8,2 % entre les mois d’avril et de mai, et de 50 % par rapport au mois de mai 2019.

« C’était une bonne stratégie », affirme M. Page. « L’autre possibilit­é aurait été de moins dépenser, d’avoir des programmes d’aide différents, mais j’ai l’impression que l’on aurait alors été confronté à d’autres enjeux : le risque de voir une hausse importante des faillites personnell­es et commercial­es. » Un tel scénario aurait eu « des répercussi­ons à moyen et à plus long terme qui auraient duré des années », voire une génération. La solution privilégié­e par le gouverneme­nt de Justin Trudeau a plutôt permis d’espérer qu’Ottawa aura moins à dépenser pour la relance économique, de l’avis de Kevin Page.

La croissance se redressera

L’économiste rappelle en outre que, à la suite de la récession du début des années 1990, l’économie a renoué naturellem­ent avec la croissance et le ratio de la dette par rapport au PIB — indicateur auquel le gouverneme­nt libéral se fie pour arguer que ses finances sont sous contrôle — avait réussi à diminuer. « Il n’y a pas de raison de croire qu’avec un peu de chance nous ne pourrions pas nous retrouver dans la même situation », estime-t-il. « Augmenter la dette afin de prévenir une dépression, je trouve que c’est de l’argent bien dépensé dans l’ensemble. »

Il n’est pas impossible que la taille du déficit augmente encore cette année, si le PIB continue de se contracter ou que le gouverneme­nt doit renouveler certaines mesures d’aide en raison d’une deuxième vague de COVID-19, selon M. Page. Mais il croit qu’il est plus probable que le déficit s’avère moindre si le programme de subvention salariale — le plus coûteux du fédéral — est moins populaire que souhaité par le gouverneme­nt.

Et une fois que l’économie aura repris ses activités, M. Page juge que le déficit risque de se résorber en partie de lui-même, car l’injection de 230 milliards de dollars en aide directe du fédéral ne se répétera pas au budget annuel et que la baisse de revenus de 81 milliards de dollars encaissée cette année à cause de la crise se corrigera avec la reprise économique. « Il va falloir du temps avant que l’économie ne revienne au point où elle était il y a six mois, il faudra peut-être attendre la fin de 2021, mais nous allons y arriver. Et je prédis que le déficit retombera. »

Et la suite ?

Bien qu’il endosse la stratégie fiscale du gouverneme­nt, Kevin Page déplore, comme les partis d’opposition l’ont fait cette semaine, qu’Ottawa n’ait pas encore partagé son plan pour la relance économique. « C’est l’une des faiblesses de la mise à jour économique », souligne le fondateur et président de l’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa.

« Les évaluateur­s de taux obligatair­es, les entreprise­s, les citoyens, tous veulent connaître le plan pour la suite. Le gouverneme­nt n’était visiblemen­t pas prêt à le dévoiler. Mais il y a un coût rattaché au fait de ne pas avoir de plan », note M. Page, en rappelant que la note de crédit du Canada a été abaissée de « AAA » à « AA + » par l’agence Fitch Ratings il y a deux semaines.

Le ministre Morneau a promis mercredi qu’il présentera une nouvelle mise à jour économique ou même un budget cet automne. M. Page argue qu’il faudrait le faire plus tôt. Car le Canada fait non seulement face à une crise économique, mais aussi à une crise du prix du pétrole. « Ne pas avoir de plan, ou à tout le moins de stratégie publique pour gérer une seconde vague de COVID-19 ou une reprise mondiale très lente, c’est un problème. »

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SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE La solution privilégié­e par le gouverneme­nt de Justin Trudeau a plutôt permis d’espérer qu’Ottawa aura moins à dépenser pour la relance économique.

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