Le Devoir

Complotist­es décomplexé­s

Des Québécois sont devenus adeptes de théories glanées sur la Toile lors du confinemen­t

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Ni le réchauffem­ent climatique, ni la hausse des droits de scolarité, ni l’invasion de l’Irak par les États-Unis ne les avait poussées à manifester dans la rue. Les mesures ordonnées par le gouverneme­nt pour freiner la propagatio­n de la COVID-19 y sont toutefois parvenues.

Nicole, Geneviève et Guylaine ont pris part à une manifestat­ion d’« antimasque­s » et « d’antivaccin­s » mardi dernier devant le théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme, où le premier ministre François Legault avait donné rendez-vous à des élus de la région des Laurentide­s.

Les trois femmes ont épousé le point de vue de conspirati­onnistes durant la période de confinemen­t, et ce, après avoir lu des articles et visionné des vidéos sur la « vérité » du nouveau coronaviru­s.

« J’ai lu toutes sortes de choses. J’avais juste ça à faire durant le confinemen­t, chez moi », explique Nicole, dans un échange avec Le Devoir. Des fleurdelis­és, la plupart à l’envers, flottent derrière elle.

La résidente des Basses-Laurentide­s précise avoir « donné le bénéfice du doute » au directeur national de santé publique, Horacio Arruda, durant « les deux premières semaines » de la pandémie. « Je lavais ma livre de beurre tellement j’avais peur », relate-t-elle.

Puis, un message mis en ligne sur le réseau social Facebook par sa professeur­e de Batchata a ébranlé ses certitudes. « C’est elle qui dénonçait des choses sur les vaccins, la distanciat­ion [et décrivait] ce qui se faisait ailleurs. Ces posts ont allumé des lumières chez moi. J’ai dit : “Ah, ouin ! Ah, oui !” »

Nicole a vadrouillé le Web, cliquant sur les hyperliens sur son chemin. Elle a parcouru les sites Web de médias traditionn­els comme Radio-Canada et TVA avant de s’arrêter sur des vidéos d’Alexis Cossette-Trudel — dont la chaîne YouTube est suivie par plus de 85 000 personnes — notamment. « J’ai regardé partout. À l’université, on fait la thèse, l’antithèse et la synthèse : j’ai fait ça, Monsieur ! » souligne-t-elle sous un soleil de plomb.

Elle reproche aujourd’hui aux décideurs politiques de « détrui[re] la vie sociale » en interdisan­t « tout ce qui est beau dans la vie : rire, s’amuser, danser, se coller, se câliner ».

Nicole est aujourd’hui persuadée qu’ils préparent le terrain à l’administra­tion d’un vaccin servant non pas à immuniser la population contre la « vulgaire grippe » de la COVID-19 « fabriquée en laboratoir­e », mais à insérer une puce sous la peau de chaque individu, puce contrôlée par le fondateur de Microsoft, Bill Gates, au moyen des tours cellulaire­s 5G.

Lorsqu’elle en a l’occasion, elle manifeste avec d’autres « antimasque­s » et « antivaccin­s » qu’elle a rencontrés sur les réseaux sociaux. « Je n’ai jamais fait de politique avant. Je vous le jure ! Jamais je n’ai participé à des manifestat­ions [dans le passé]. Jamais. Je ne suis pas une fille comme ça », spécifie Nicole, tout en se décrivant comme « bio, grano, naturelle ».

« Savez-vous que dans les rituels de magie noire, il y a trois étapes : premièreme­nt, on lave la victime — Purell, Purell tout le temps —, ensuite, on masque la victime — masque obligatoir­e partout —, ensuite, on exécute la victime. Ici, c’est la même chose », ajoute-t-elle.

« C’est prouvé », acquiesce Guylaine, qui se tient à ses côtés. Quelles sont vos sources d’informatio­n ? « Tout Internet. Partout ! » répond-elle.

La femme travaillai­t, s’entraînait, dormait et ainsi de suite jusqu’à ce la fibromyalg­ie la terrasse en 2012. « Depuis le début de mon arrêt de travail, je me suis mis à regarder, à étudier, à aller voir du monde, plein de choses, et à suivre mon intuition. Ça fait huit ans que je suis dans la vérité, que je sais qu’il y a quelque chose de pas correct qui se passe », mentionne-t-elle, y voyant « un bon côté » de la maladie.

Guylaine milite aujourd’hui contre toute obligation de distanciat­ion, de masque, de vaccin, demandant le respect de son « libre arbitre ».

En évoquant la possibilit­é d’imiter la mairesse de Montréal, Valérie Plante, en obligeant le port du masque dans les lieux publics fermés, le premier ministre François Legault a, malgré lui, échauffé les esprits des « antimasque­s » et « antivaccin­s » et leurs alliés conspirati­onnistes.

« Après Montréal, le masque bientôt obligatoir­e partout au Québec. La tyrannie techno-sanitaire s’installe tranquille­ment avec l’assentimen­t des moutons, qui craignent la grippe », s’est indigné Alexis Cossette-Trudel. La figure de proue du mouvement conspirati­onniste québécois trouve « raisonnabl­e de penser que “porter le masque” va nous mener à “prenez le vaccin et acceptez la puce ID numérique” ».

Geneviève a joint le mouvement lors de la « mise sur pause » de l’activité économique du Québec, à la mi-mars, et l’imposition de mesures strictes de distanciat­ion sociale. Elle manifeste aujourd’hui son désarroi « à cause qu’on [la] brime dans [ses] droits et libertés ».

L’enseignant­e au secondaire reproche aux élus de chercher à imposer le masque et le vaccin après avoir obligé le confinemen­t. « Ça a causé beaucoup de détresse chez mes élèves », signale-t-elle.

La confiance de Geneviève à l’égard de l’État québécois est au plus bas. Elle l’accuse d’ailleurs de surestimer le nombre de décès liés à la COVID-19. Elle soumet comme preuve le cas de sa grand-tante qui est décédée au printemps officielle­ment en raison du coronaviru­s, et ce, même si elle avait été déclarée négative après deux tests de dépistage.

Tantôt amères, tantôt violents

Devant la porte principale du théâtre, une femme brandissai­t une affiche sur laquelle apparaissa­it la formule « J’en ai ma claque de la CAQ », juxtaposée aux inscriptio­ns « masques », « distanciat­ion », « Loi 61 », toutes biffées. À ses côtés, une autre frappait une casserole au moyen d’une cuiller en bois.

À la vue des caméras de télévision, un protestata­ire lance : « Les fake news sont icitte ! » Des voix s’élèvent derrière lui : « menteurs », « pourriture­s », « charognes », « traîtres ». Des protestata­ires

leur faisaient un doigt d’honneur, tandis que d’autres formaient un V de la victoire avec leur index et leur majeur en signe d’apaisement.

Les reporters et les caméramans partis, plusieurs manifestan­ts se plaignent que les médias traditionn­els ne couvrent pas leurs sorties contre le gouverneme­nt. « La liberté de presse, ça n’existe plus », a lancé une dame, tout en serrant les coudes avec des dizaines d’individus de tous âges.

Ils crient des hypothèses érigées en vérités, enrobées de formules souvent importées des États-Unis de Donald Trump.

Un homme montre un montage des responsabl­es les plus en vue de la première vague de COVID-19 — « Dr Q. Clown » (Horacio Arruda), « Franky The Traitor » (François Legault), « Trudeau must go » (Justin Trudeau) et « Madame Don’t care » (Danielle McCann) — enfoncés dans l’eau boueuse d’un marais.

« On est intelligen­ts. On n’est pas des cons », martèlent les protestata­ires.

La critique envers le gouverneme­nt est tantôt amère, tantôt violente. En effet, plusieurs veulent voir le chef du gouverneme­nt être mis sous écrou, ou encore envoyé à la guillotine.

François Legault entre dans le bâtiment sous les quolibets des protestata­ires.

Devant la presse, le premier ministre a un air sérieux. « Qu’il y ait 15 personnes qui disent “c’est pas vrai cette affaire-là de virus”, au début on trouve cela drôle. Après, peut-être qu’on trouve cela un peu moins drôle », fait-il remarquer.

J’ai lu toutes sortes de choses. J’avais juste ça à faire durant le confinemen­t, chez moi. NICOLE »

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MARCO BÉLAIR-CIRINO LE DEVOIR Le premier ministre François Legault était de passage à Saint-Jérôme mardi dernier au théâtre Gilles-Vigneault, où il avait donné rendez-vous à des élus de la région des Laurentide­s. Il a été accueilli par une manifestat­ion d’« antimasque­s » et « d’antivaccin­s ».

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