Le Devoir

Menacé par sa propre base

Les appuis du président s’érodent au sein de l’électorat qui l’a porté au pouvoir en 2016

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L’homme Téflon est-il en train de perdre son pouvoir antiadhési­f ? À quelques mois de la présidenti­elle américaine, Donald Trump semble payer le prix de sa gestion chaotique de la pandémie de COVID-19 aux États-Unis, mais également des révélation­s dévastatri­ces qui se succèdent dans une série de livres à charge depuis plusieurs mois. Le dernier en date, celui de sa nièce, Mary, sort la semaine prochaine.

Un sondage Gallup diffusé au début de cette semaine confirme en effet une chute importante de la popularité du sulfureux personnage politique. Une critique qui, pour la première fois depuis son arrivée à la Maison-Blanche, devient perceptibl­e au sein même des couches de la population qui l’ont porté au pouvoir en 2016.

Et cette nouvelle configurat­ion de l’opinion publique n’est pas de bon augure pour le président américain, qui pourrait ne pas sortir indemne de cette énième zone de turbulence dans laquelle il s’est fait entrer.

« En date d’aujourd’hui, Donald Trump a très peu de chances d’être réélu, résume en entrevue au Devoir le politicolo­gue Bruce Buchanan, professeur émérite à l’Université du Texas à Austin, et sa défaite, si elle se produit, va donner un signal clair que la chute politique du personnage a bel et bien commencé. »

Les coups de sonde lancés dans la population américaine depuis le début de l’été semblent d’ailleurs baliser ce chemin. Le travail de Donald Trump est désormais plébiscité par 38 % à peine des électeurs, soit un des niveaux les plus bas depuis son arrivée au pouvoir. Ce taux d’approbatio­n est équivalent à celui avec lequel Jimmy Carter ou George Bush père ont dû composer au même moment de leur présidence. Les deux hommes se sont illustrés dans l’histoire politique des États-Unis pour ne jamais avoir décroché de deuxième mandat.

Pis, plus de trois mois après le début de la pandémie, Donald Trump voit ses appuis fondre au sein de son électorat de base : les conservate­urs religieux, les hommes blancs sans diplôme collégial, mais également les personnes âgées qui semblent excuser un peu moins les frasques et le caractère diviseur de Trump. Dans plusieurs États, ce sont ces voix qui lui ont donné l’avantage sur Hillary Clinton lors de la dernière élection.

« Le manque de leadership du président face au coronaviru­s, mais également face aux manifestat­ions dénonçant le racisme a sérieuseme­nt érodé ses appuis au sein de sa base politique », dit le stratège républicai­n Gary Sasse, joint au Rhode Island, où il dirige le Hassenfeld Institute de l’Université Bryant. C’est un modéré qui n’a pas caché sa sympathie pour la destitutio­n de Trump au début de l’année.

« Donald Trump perd de manière importante en influence là où il peut le moins se le permettre, soit ce qui a formé la pierre angulaire de son accession au pouvoir. Son manque d’empathie envers la douleur de nombreux Américains en est en partie la cause. Il est de plus en plus déconnecté des problèmes qui préoccupen­t la population : la santé publique, les troubles raciaux et une économie sur la trajectoir­e de celle de la Grande Dépression des années 1930 », dit-il.

Une majorité d’insatisfai­ts

La semaine dernière, un nombre record d’électeurs ont indiqué sans ambages ne plus apprécier la manière dont le président américain était en train de gérer la crise sanitaire en cours aux États-Unis. Le coronaviru­s y a entraîné la mort de plus de 130 000 personnes. Le pays est en tête du palmarès mondial des décès et des infections avec plus de 3 millions de cas confirmés à ce jour.

Les insatisfai­ts forment désormais une majorité de 57 %, selon l’institut de sondage Harris, en croissance de 7 points depuis mai dernier. Un sondage ABC/IPSOS a porté vendredi ce taux d’insatisfac­tion à 67 %. C’est un renverseme­nt complet de situation puisqu’au début de la pandémie, en mars dernier, 56 % des Américains avaient confiance en leur président.

Sa gestion de la COVID-19 a certaineme­nt fait mal à Donald Trump, particuliè­rement auprès de la population plus âgée, qui, avec les Afro-Américains, est la plus touchée par cette maladie. Mais pas seulement, estime Bruce Buchanan. « Ces anciens partisans l’abandonnen­t en raison de leur malaise envers une personnali­té qui devient de plus en plus gênante », dit-il en mentionnan­t une « éthique douteuse, des affinités avec des tyrans comme le président russe, Vladimir Poutine, et des penchants autoritair­es » qui ont guidé ses décisions quant à la vague populaire qui a déferlé dans les villes américaine­s pour dénoncer l’assassinat de George Floyd. L’Afro-Américain a péri entre les mains d’un policier violent à Minneapoli­s en mai dernier, et sous les yeux indignés du monde.

Les conservate­urs déchantent

Les dégâts sont d’ailleurs particuliè­rement lourds au sein des évangélist­es blancs, qui ont représenté le tiers des voix de l’Amérique blanche ayant porté Trump au pouvoir en 2016. Entre mars et juin cette année, l’opinion favorable

envers le président de ce groupe de citoyens a chuté de 15 points, indique la dernière mesure de l’opinion du Public Religion Research Institute (PRRI), pour s’établir à 62 %.

La chute est également enregistré­e de manière tout aussi marquante chez les autres représenta­nts de ce courant conservate­ur religieux dont a su profiter le milliardai­re pour entrer à la Maison-Blanche. « Et à l’approche d’une élection, il s’agit d’un changement qui peut avoir des conséquenc­es énormes », assure Gary Sasse.

« Les évangéliqu­es de tous âges ont vu un manque d’empathie chrétienne dans les attaques du président contre les personnes qui se tenaient ensemble, au-delà des lignes raciales, pour protester contre la brutalité policière », expliquait il y a quelques jours Juan William, analyste politique à Fox News, qui estime que la chute de l’ex-vedette de la téléréalit­é est aussi attribuabl­e à ses promesses non tenues : un mur à la frontière mexicaine, un plan « fabuleux » pour remplacer Obamacare, un deal avec la Corée du Nord pour mettre fin à la menace nucléaire, un virus qui devait « disparaîtr­e par magie »…

« Le roi est nu », dit Garry Sasse, et cette perception semble de moins en moins diviser les Américains, qui appellent dans une proportion de 63 % à des changement­s importants au sein de leur société, tout en estimant ne pas vivre dans l’Amérique dans laquelle ils rêvent. C’est encore HarrisX qui a pris la mesure de l’opinion. Le malaise est encore plus criant chez les démocrates (75 %) et chez les électeurs indépendan­ts (71 %) qui appellent à ce changement.

Un niveau de désapproba­tion qui complique la route de Trump vers un deuxième mandat. Seul Harry Truman a réussi à ce jour à se succéder à luimême dans un tel climat de défiance. C’était dans l’après-guerre de 1948.

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JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE Le président américain, Donald Trump, est en chute libre dans les sondages aux États-Unis.
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