Le Devoir

Oka, 30 ans plus tard

- Ghislain Picard Chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL)

Lettre envoyée au premier ministre du Québec, François Legault

Il y a trente ans, le Québec entrait dans l’une de ses pires crises humaines, sociales et politiques. Le climat de violence dont nous avons été témoins de juillet à la fin de septembre 1990 a eu des conséquenc­es dramatique­s, dont la mort d’un policier en exercice. Bien que la crise d’Oka ait tristement laissé sa marque indélébile dans nos esprits, elle peut encore servir de référence, car depuis trente ans rien n’a vraiment changé. Cependant, la fracture sociale et politique entre les Premières Nations et une partie de la population québécoise est le fruit de décennies d’injustices et de mesures forcées. Il est évident que de soumettre une population entière à de tels agissement­s ne peut que laisser des blessures encore vives aujourd’hui. Le Québec ne fait pas exception à ce chapitre, des exemples abondent dans le monde entier.

L’APNQL s’adresse à vous publiqueme­nt aujourd’hui, d’abord pour souligner respectueu­sement le souvenir de cet été 1990, puis pour partager avec vous, en tant que premier ministre du Québec, des pistes de solution permettant d’éviter que l’histoire ne se répète.

Pandémie de COVID-19, inconduite­s policières à caractère raciste, un triste trentième anniversai­re. C’est dans ce contexte délicat que resurgit au Québec le débat sur le racisme et la discrimina­tion, auquel le caractère systémique s’est ajouté, qu’on le veuille ou non. Le racisme et la discrimina­tion systémique­s ne sont pas que des concepts ou des notions théoriques.

Envers et contre tous, par des gestes récents devant les tribunaux, votre gouverneme­nt conteste aujourd’hui le droit fondamenta­l des Premières Nations de se gouverner et notre droit de prendre en charge nos propres services à l’intention de nos familles et de nos enfants

Il s’agit plutôt d’un ensemble de faits et de comporteme­nts qu’il ne faut pas craindre de nommer et de dénoncer si l’on veut sincèremen­t les corriger. Du point de vue de l’APNQL, lorsqu’un peuple nie les droits fondamenta­ux d’un autre peuple sur la base de sa race, nous sommes en présence de racisme. Lorsque cette négation est exercée formelleme­nt et systématiq­uement par un État, nous sommes en présence de racisme et de discrimina­tion systémique­s. Encore une fois, n’ayons pas peur des mots. Ils nous aident à faire face à la réalité.

Nous devons nous rappeler que les Nations unies ont adopté, il y a maintenant plus de dix ans, la Déclaratio­n sur les droits des peuples autochtone­s, dans le but de rompre avec de tels comporteme­nts et de proposer des solutions viables aux États pour redéfinir leurs relations avec les peuples autochtone­s sur des bases respectueu­ses. De plus, la Déclaratio­n demandait des normes minimales pour assurer la survie, la dignité et le mieux-être des peuples autochtone­s. De notre point de vue, les décisions politiques qui sont à l’origine de la crise d’Oka constituen­t l’exemple parfait d’actions à proscrire en vertu de cette Déclaratio­n.

La leçon aurait pu être facilement apprise.

Envers et contre tous, par des gestes récents devant les tribunaux, votre gouverneme­nt conteste aujourd’hui le droit fondamenta­l des Premières Nations de se gouverner et notre droit de prendre en charge nos propres services à l’intention de nos familles et de nos enfants. Mettre autant d’énergie et de ressources pour faire obstacle à la volonté des Premières Nations de mieux servir leurs population­s ne fera qu’exacerber le racisme et la discrimina­tion systémique­s.

Faire preuve d’optimisme quant à la recherche de solutions constructi­ves s’avère une chose ardue quand les blessures de la relation qui devrait nous unir sont encore contaminée­s par le mépris.

Nous devons tirer des leçons du passé et agir pour nous engager dans la bonne voie, celle qui permettra de ne plus faire marche arrière sur des principes convenus mutuelleme­nt. Comme dirigeants, nous partageons le devoir de trouver cette voie de passage respectueu­se et bénéfique pour nos population­s respective­s. Il s’agit, Monsieur le Premier Ministre, d’en avoir la volonté.

Dans la paix et l’amitié.

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