Le Devoir

Un « ticket » d’union nationale pour la présidenti­elle américaine

- Marie-Christine Bonzom Journalist­e, politologu­e et spécialist­e des États-Unis

Beaucoup envisagent un monde de l’après-COVID qui devrait réinventer la façon dont nous investisso­ns, produisons, consommons, apprenons, travaillon­s, voyageons ou interagiss­ons. Mais la politique ne saurait être immunisée contre la réinventio­n.

Les États-Unis souffrent d’une aggravatio­n de la polarisati­on partisane, qui n’a fait qu’empirer depuis Donald Trump.

Ce démocrate devenu républicai­n, qui a surfé sur une vague de colère envers la classe politique, a emprunté le pire aux politicien­s de carrière et porté la polarisati­on à son paroxysme.

Face à une crise sanitaire historique flanquée d’une crise économique, sociale et raciale, les Américains se rendent compte qu’un rôle crucial du gouverneme­nt est de les protéger de la maladie, du chômage, de la pauvreté et de la violence, y compris celle de leurs propres policiers.

Le 3 novembre, ils ne devraient pas en être réduits à choisir entre deux rivaux discutable­s pour résoudre une crise nationale et lutter contre la Chine pour l’hégémonie mondiale.

Trump a affronté la Chine et prétend placer l’« America first », mais il n’a montré aucune compassion envers les morts, les malades et les victimes économique­s du « virus chinois ». Accusé de racisme, le président a violé la Constituti­on le 1er juin en ordonnant l’usage de la force pour disperser une manifestat­ion pacifique.

Joe Biden, en trois campagnes présidenti­elles, n’avait pas gagné de primaire avant février. Il n’est le seul démocrate encore en lice que grâce aux pressions du parti sur les autres prétendant­s. Lui aussi accusé de racisme, il fut le vice-président de Barack Obama qui, malgré huit ans au pouvoir, rata l’occasion de transforme­r le système de santé et l’administra­tion de la police.

Rupture

Ayant créé ou négligé les maux mis à nu par la crise, aucun des deux « grands » partis n’est du reste crédible pour y remédier. L’heure exige donc une rupture pour sortir de l’impasse actuelle. Elle exige un « ticket » d’unité nationale.

Bernie Sanders et Mitt Romney devraient se présenter en tandem. Ces sénateurs sont essentiell­ement des indépendan­ts. Or, les Américains qui ne se reconnaiss­ent dans aucun des deux partis forment la catégorie dominante et la seule part croissante de l’électorat.

Sanders est, de loin, le politicien le plus en phase avec les dossiers préoccupan­t depuis longtemps les Américains et soulignés par la crise : création d’un système universel et public de santé, réduction des inégalités et des discrimina­tions, améliorati­on des emplois et des salaires, soutien à une agricultur­e durable et aux circuits courts de consommati­on, protection de l’environnem­ent, démondiali­sation.

Romney est, pour sa part, le premier membre de l’establishm­ent républicai­n à avoir dénoncé les failles de Trump. Il est le seul sénateur de l’histoire du pays à avoir accusé d’abus de pouvoir un président issu de son propre parti. Face à la mort atroce de George Floyd, il est le seul républicai­n du

Congrès à s’être joint aux manifestan­ts pour affirmer que « les vies noires comptent ».

Un gouverneme­nt Sanders-Romney devrait placer « all Americans first », mais ne pas laisser l’« America » isolée. Romney, comme Sanders, a raison sur l’injustice raciale et sexuelle. Sanders a eu raison sur l’Irak, Romney sur la Russie. Tous deux ont raison sur la Chine.

Les États-Unis ont déjà connu un ticket et un gouverneme­nt d’union nationale. Pendant la guerre de Sécession, la nécessité d’une réconcilia­tion amena le président républicai­n Abraham Lincoln à briguer un second mandat avec le démocrate Andrew Johnson.

« La convention [du Parti de l’Union nationale] et la nation sont animées par une conception plus élevée des intérêts du pays », expliqua Lincoln en 1864. Le tandem LincolnJoh­nson fut élu par un raz-de-marée.

Aujourd’hui, un gouverneme­nt d’union nationale ne devrait pas réunir que des démocrates et des républicai­ns. Il devrait aussi inclure des verts et des libertarie­ns, des entreprene­urs socialemen­t responsabl­es, des militants économique­ment responsabl­es, des gens de toutes couleurs, beaucoup de jeunes et de femmes.

Ce gouverneme­nt devrait tendre la main aux électeurs de Trump, qu’ils soient des républicai­ns, d’anciens démocrates ou des citoyens détachés du processus politique avant 2016.

La vocation que Romney et Sanders ont ressentie pour briguer la présidence par deux fois doit être encore plus pressante aujourd’hui. Ils devraient convoquer leur esprit indépendan­t et les valeurs profondéme­nt américaine­s d’audace et d’espoir pour oeuvrer à ce que la politique et le gouverneme­nt réconcilie­nt et servent l’Union.

La vocation que Mitt Romney et Bernie Sanders ont ressentie pour briguer la présidence par deux fois doit être encore plus pressante aujourd’hui

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