Qui oserait redresser la tour de Pise ?
La conservation de la fresque de l’église Notre-Dame-de-la-Défense, où apparaît Mussolini, n’est nullement une exaltation politique
Je désire faire un retour sur le texte de M. Giovanni Princigalli paru dans Le Devoir du 3 juillet, à propos de la présence de Benito Mussolini dans la fresque de l’église Notre-Dame-de-laDéfense.
Je suis enseignant d’histoire, professeur d’histoire de l’art, paroissien, catéchiste et collaborateur de NotreDame-de-la-Défense. Pendant mon temps libre, à titre de bénévole, j’accompagne des visites guidées et je reçois des visiteurs à notre église. D’entrée de jeu, je partage deux points du texte de M. Princigalli, mais je tiens à dire que d’autres parties de son contenu ont plutôt besoin de certaines précisions.
Le premier aspect que je partage avec l’article est le jugement sur le dictateur italien. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus. Il est condamné par le tribunal de l’histoire. Personnellement, j’ai grandi en Italie et mon père, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, nous racontait souvent ce moment tragique, après le 8 septembre 1943, où, en Allemagne, il se rangea contre Mussolini. Pour cela, il fut pendant plus de deux ans prisonnier de guerre des nazis.
Le deuxième point avec lequel je ne peux qu’être d’accord est qu’il faut expliquer aux touristes et aux visiteurs le contexte de l’oeuvre et que sa conservation n’est nullement une exaltation politique. En fait, c’est ce que nous faisons déjà. En effet, les visiteurs trouvent à l’entrée de la Madonna della Difesa une feuille d’information en trois langues où, entre autres, on peut lire textuellement :
« On peut comprendre la présence de Benito Mussolini dans la fresque par une analyse du contexte historique des années trente du XXe siècle. En effet, en 1929, l’État italien et le SaintSiège se sont réconciliés après des décennies d’opposition à cause de l’annexion des États pontificaux par la monarchie des Savoies.
À cette époque, le dictateur italien n’avait pas encore établi l’alliance infâme avec Hitler et il était au sommet de sa popularité. À Montréal aussi, un certain nombre d’Italiens et de Québécois regardaient le fascisme avec bienveillance et admiration.
Maintenant, l’église est reconnue comme patrimoine artistique et historique par le gouvernement fédéral du Canada ainsi que par la province du Québec. Les travaux de restauration se sont terminés en 2003.
Mis à part les visiteurs occasionnels, les fidèles de l’église ne regardent plus vers Mussolini. Désormais, il s’agit plutôt d’une anecdote et d’une simple donnée historique.
Par contre, la communauté actuelle est centrée sur la foi, le culte, les sacrements et l’expérience chrétienne vécue de différentes façons et à tout âge. Beaucoup de monde travaille bénévolement pour la pastorale, les fêtes, la charité et d’autres services. »
Questione romana
Certains points de M. Princigalli ont par ailleurs besoin de quelques précisions. La fresque fut réalisée en 1931 et, comme nous l’avons mentionné plus haut, elle célèbre la réconciliation de 1929. Définir les Accords de Latran comme « l’alliance entre le fascisme et le clergé » est très réducteur. À l’intérieur du catholicisme italien, il y a toujours eu des mouvements d’opposition au régime.
Depuis 1870, le royaume d’Italie, de récente constitution, occupait les anciens États pontificaux et avait fait de Rome sa capitale, mais sans aucun accord. Les papes vivaient comme des prisonniers. Une grande partie des Italiens vivaient un conflit intérieur, entre être des sujets du roi et des fidèles catholiques.
La questione romana (on appelait ainsi ce conflit) dura 59 ans et trouva une solution seulement avec Mussolini premier ministre. Il signa l’accord qui, entre autres, constitua l’État Vatican (et donc l’autonomie du pontife) avec le cardinal Gasparri, secrétaire d’État du Saint-Siège (lui aussi a un rôle de premier plan dans la fresque). Le pape était alors Pie XI (et non pas Pie XII, comme cela est rapporté dans l’article de M. Princigalli) et, dans la fresque, on le voit assis sur la chaise gestatoire. Dans l’organisation du dessin, il est au centre de la partie des vivants et, pas par hasard, plus haut que Benito Mussolini à cheval.
Un autre aspect à préciser, c’est que les enfants noirs de la fresque n’ont absolument rien à voir avec la politique coloniale italienne. Ils représentent les missions de l’Église.
En 1931, notre personnage était déjà un dictateur et personne, en Italie, ne l’aurait dessiné dans une église. Toutefois, il n’était pas encore le Mussolini des guerres coloniales (1935), de l’Axe avec Hitler (1938) et des lois raciales. Surtout, il n’était pas encore le Mussolini de la Seconde Guerre mondiale.
En 1931, ce dictateur était mondialement populaire (admiré ou détesté). Pour les Italiens de Montréal de l’époque, c’était une gloire nationale et ils n’ont pas résisté à la tentation de l’imposer à Nincheri. Par ailleurs, d’autres gloires italiennes de l’époque y sont représentées : Guglielmo Marconi, Italo Balbo (en tant qu’aviateur) et Amedeo di Savoia (explorateur).
Le chef-d’oeuvre de Nincheri
Je fréquente assidûment la communauté de l’église depuis 1997. Jamais je n’ai entendu quelqu’un manifester de la sympathie pour le fascisme. Ni les prêtres, ni les marguilliers, ni les membres du comité qui organisent les fêtes, ni les catéchistes, ni les membres des associations paroissiales, ni les employés laïques, ni aucun fidèle. Jamais !
Pourtant, si vous alliez leur demander s’il faut retirer Mussolini de la fresque, je suis sûr que pratiquement tous s’y opposeraient. Non pas parce qu’ils l’aiment, mais d’abord parce que cela porterait grièvement atteinte à la fresque de Guido Nincheri, qui fit de cette église son chef-d’oeuvre. M. Princigalli affirme que mettre sur un même plan Michel-Ange et Nincheri est discutable. Pourtant, la comparaison tient vraiment (les deux sont Toscans, architectes, peintres, sculpteurs…). Nincheri est un vrai héritier du génie de la Renaissance. À défaut d’avoir les oeuvres du Buonarroti au Québec, il faut bien être fiers des fresques du Nincheri, les protéger et les valoriser.
Cependant, il y a aussi une autre raison pour laquelle chaque paroissien s’y opposerait. Cette présence est désormais une caractéristique anecdotique qui, au fil du temps, est devenue un facteur d’originalité et d’identité. Retirer Mussolini serait comme redresser la tour de Pise.
Depuis 1870, le royaume d’Italie occupait les anciens États de l’Église. Les papes vivaient comme des prisonniers. Une grande partie des Italiens vivaient un conflit intérieur, être des sujets du roi ou de fidèles catholiques.