Le Devoir

Annie Gagnon, répétitric­e de danse

Ce métier polyvalent fait briller le travail des créateurs en le peaufinant, et même parfois en le bonifiant

- LÉA VILLALBA

Parler de culture en tant que secteur industriel peut faire grincer des dents ceux qui craignent que l’on réduise l’art à des colonnes de chiffres. Ceux-ci révèlent toutefois une réalité économique de poids : l’industrie culturelle emploie environ 178 000 personnes au Québec, générant des retombées annuelles de près de

9,4 milliards de dollars. Or, derrière chaque oeuvre s’active une armée de travailleu­rs de l’ombre dont le métier est aujourd’hui menacé par la crise sanitaire, travailleu­rs auxquels Le Devoir consacre une série. Cette semaine, on se tourne vers la danse.

Elle compte sur sa liste des noms comme Ginette Laurin, O Vertigo, Destins Croisés, Estelle Clareton, la Compagnie Marie Chouinard, Alan Lake Factori(e) et bien d’autres encore. Au fil des collaborat­ions, Annie Gagnon a appris son métier sur le terrain, constatant du même coup la multitude de tâches qu’il impliquait.

« Ce qui m’impression­ne, ce sont les besoins différents de chaque chorégraph­e. Je peux intervenir tant dans l’artistique que dans la technique. En studio, je peux m’occuper du son et de la lumière, par exemple, c’est quasiment de la régie de studio. Je note chaque cue, je filme, je fais l’archivage… c’est tellement large ! Si la chorégraph­e ne vient pas lors des tournées, je deviens alors directrice artistique. Je dois m’assurer que le spectacle reste fidèle à ce qu’on a fait en studio », expose Annie, passionnée par le métier qu’elle pratique depuis maintenant plus de 15 ans.

Parfois, certains chorégraph­es n’ont pas une vision définie de ce qu’ils souhaitent et lui laissent une place plus importante encore. Elle peut alors aider à créer l’éclairage, à adapter le spectacle en salle, ou même à approfondi­r une gestuelle : « C’est comme si j’étais cocréatric­e de la pièce dans ces cas-là. »

Il arrive aussi que le créateur ait une idée claire de ce qu’il souhaite. Le rôle d’Annie est alors différent : elle doit utiliser les temps de répétition pour « nettoyer » le mouvement, s’assurer de la justesse de la chorégraph­ie. Cependant, c’est lorsqu’elle peut intervenir dès le début d’un processus créatif qu’Annie s’épanouit le plus dans son métier : « J’adore quand mon sens artistique et ma créativité sont sollicités », confie-t-elle.

Métier multiforme, celui de répétitric­e requiert plusieurs qualités, à la fois humaines et artistique­s, croit Mme Gagnon. « Je pense qu’il faut de l’humilité et une grande humanité. Il faut aussi être organisé et avoir une vision globale du processus et du temps. Une autre qualité est la capacité de s’adapter constammen­t parce qu’on travaille avec des êtres humains, et parfois des personnali­tés fortes. Enfin, je dirai qu’il faut être patient et calme, tout en sachant faire preuve de leadership : une main de fer dans un gant de velours ! » analyse-t-elle.

En plus de la sensibilit­é artistique et créative qui encoure son métier, c’est la relation humaine qui l’anime au quotidien. « Mon rôle, c’est de faire le pont entre les besoins des danseurs, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent et les exigences du chorégraph­e. C’est de la médiation et un peu de la psychologi­e aussi. Je suis témoin de ce qui se passe et je ne peux pas me positionne­r trop d’un côté ou de l’autre. Il faut veiller à la synergie globale du groupe. »

Un métier encore peu reconnu

Le métier de répétiteur de danse reste peu connu. La nomination même du métier est d’ailleurs encore débattue. « De plus en plus, on essaye de se définir comme directeur de répétition­s. Ça englobe beaucoup plus de tâches et se rapproche davantage de notre réalité. On en parle beaucoup dans le milieu, c’est en train de se transforme­r », raconte Annie.

Aucune formation ni aucun cours n’enseignent ce métier. De plus, aucune norme n’existe quant à la rémunérati­on ou au type de contrats produits. « Je peux être payée en tant que salariée, en tant que travailleu­se autonome, à l’heure, à la semaine ou parfois au show. Ça se négocie avec chaque personne », explique-t-elle.

La reconnaiss­ance du métier dépend aussi beaucoup des chorégraph­es qui souhaitent, ou non valoriser le rôle de la répétitric­e en mettant par exemple son nom sur l’affiche : « On essaye d’affirmer notre métier, de le faire connaître au plus grand nombre. On brille dans l’ombre, et c’est parfois ingrat. »

La pandémie qui bouscule tout

Au début de la pandémie, Annie Gagnon, alors en tournée européenne avec la Compagnie Marie Chouinard, s’est fait rapatrier au Québec. Tout comme le reste du milieu artistique et culturel, elle ne travaille plus du tout depuis le 12 mars. Différente­s initiative­s sont mises en place, notamment par le Regroupeme­nt québécois de la danse (RQD), pour appuyer ces travailleu­rs, mais Annie s’inquiète de la situation.

« Ce qui me fait le plus peur, c’est qu’il y en a qui vont devoir changer de métier. Notre milieu est déjà compétitif : on est beaucoup d’artistes, mais on n’est pas assez reconnus. Il y en a seulement quelques-uns qui réussissen­t vraiment, qui sortent du lot. Mais ce n’est pas tout le monde. » Sans compter qu’on leur demande, pour une énième fois, d’adapter leurs pratiques, sans aucune garantie. « On n’a pas de soutien plus que ça. Est-ce que c’est encore les mêmes qui vont passer au travers ? » se questionne la jeune femme.

Elle confie ressentir aussi un manque, celui de son métier mis sur la glace. Elle s’ennuie de la relation humaine avec les chorégraph­es et les danseurs, de l’ambiance du studio, mais aussi de la création elle-même.

« La période actuelle me fait me questionne­r sur le sens de ma vie. Je suis rendue où ? J’ai 41 ans, c’est quoi les prochaines étapes ? Je songe à finir mon bac en peinture. J’ai envie d’être connectée à la création. C’est ce qui me manque le plus », confie-t-elle.

Même si elle l’a un peu mis de côté ces dernières années, Annie Gagnon travaille aussi en tant qu’interprète et chorégraph­e. Or, la pandémie a fait ressortir son envie de chorégraph­ier à nouveau. « J’ai le goût de créer quelque chose sur l’amour, avec un travail à deux, de partenaire sur l’équilibre, le déséquilib­re, mais on ne peut plus se toucher, alors ce n’est peut-être pas le temps… se questionne-t-elle. Pourtant, on va en avoir grandement besoin, je pense. »

Je pense qu’il faut de l’humilité et une grande humanité. Il faut aussi être organisé et avoir une vision globale du processus et du temps. Une autre qualité est la capacité de s’adapter constammen­t parce qu’on travaille avec des êtres humains, et parfois des personnali­tés » fortes. ANNIE GAGNON

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HUBERT HAYAUD LE DEVOIR Annie Gagnon est passionnée par son métier qu’elle pratique depuis plus de 15 ans.

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