L’insolite selon Erwan Le Duc
Perdrix raconte un film d’amour, thème classique s’il en est, mais au fil de variations parsemées de touches singulières
Longtemps journaliste sportif au Monde et cinéaste abonné aux courts, le Français Erwan Le Duc aura pris d’assaut pour la première fois l’écriture et la mise en oeuvre d’un long métrage avec Perdrix. Beau tremplin ! Le film fut présenté en 2019 à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes. Le cinéaste était lancé. « Mon film venait tellement de loin, évoque-t-il en entrevue à Paris. Le coup de fil de la Quinzaine m’annonçant sa sélection fut pour moi bouleversant. J’avais pris des risques.
Perdrix n’avait pas d’ancrage social et il a été bien accueilli. Ça prouve qu’il est possible de rester hors des codes. »
Place à une histoire d’amour dans la belle région des Vosges, sur un ton décalé, avec en vedette Maud Wyler et Swann Arlaud. Fanny Ardant incarne la mère animatrice de radio du capitaine de gendarmerie Pierre Perdrix, héros tragicomique, qui habite chez la matriarche à 37 ans, comme son frère et sa nièce.
« Des flics apparaissaient dans mes courts métrages, rappelle Le Duc. C’est amusant de parler de la police française. Ce personnage m’intéressait. Il vit à côté de lui-même. J’en ai fait un alter ego de cinéma. »
Dans le film, Pierre Perdrix voit sa vie rangée basculer quand Juliette Webb, femme insolente et mystérieuse, y fait irruption. Une bande de nudistes révolutionnaires lui ont volé sa voiture et ses journaux personnels. Et voici le duo parti à la chasse aux malfaiteurs en s’éprenant l’un de l’autre.
Erwan Le Duc n’avait pas fait d’étude en cinéma, mais ce désir du septième art l’habitait : « Du court au long, j’apprivoise le métier chaque fois. »
Avec des échos de Wes Anderson, son univers s’offre une dimension farfelue. On y trouve même des traces d’humour belge. « J’ai grandi dans le nord de la France et j’ai passé mon adolescence en Angleterre, explique-t-il. J’aimais l’humour à froid, visuellement burlesque. En France, le cinéma de Bertrand Blier durant les années 1980 me plaisait. Les Scandinaves ont souvent le sens du gag qui fait irruption dans le récit, comme Aki Kaurismäki, si décalé. Mes influences viennent de partout, du Japonais Takeshi Kitano aussi, ce pince-sans-rire. »
Choisir un genre, le cinéaste n’en avait guère envie. Comédie romantique, ce Perdrix ? En partie. Pas seulement. « Quand même, il ne fallait
Cet entretien a été effectué à Paris dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.
Perdrix prend l’affiche le vendredi 17 juillet.
pas que le film déborde en y injectant trop de choses. Je voulais rester près des émotions. Mon objectif était d’arriver à écrire un film d’amour, thème classique, en proposant des variations. Aux questionnements amoureux s’ajoutent ceux sur l’identité, la famille, le vivre-ensemble, mais de manière légère, en y injectant le vide. À partir du moment où existe un trop-plein apparaît aussi le gouffre. Le personnage de la mère joué par Fanny Ardant vit quelque chose d’intime entre ces pôles-là. »
À travers le regard des autres
En Swann Arlaud, il a trouvé un acteur qui possédait la sincérité et l’honnêteté du personnage. « Il peut dégager beaucoup d’intensité. Pierre Perdrix est gendarme et incarne l’autorité et le droit chemin, mais humainement, son profil est difficile à jouer, car il est en creux. Grâce au charisme de Swann, je pouvais le filmer à travers le regard des autres. »
En lui comme en Fanny Ardant, il a trouvé des comédiens qui savent écouter et s’exprimer par les yeux. « Quant à Maud Wyler, elle travaillait déjà dans mes courts métrages et je la savais capable de proposer quelque chose de singulier, qui passe beaucoup par le langage corporel. L’enjeu du tournage était de donner vie à chaque scène. J’aime beaucoup écrire des dialogues. Ils restructurent le récit filmé. Tout le reste repose sur le personnage en mode écoute, et ma mise en scène pourrait se raconter sans paroles. L’intérêt était de raconter une histoire au-delà des considérations esthétiques, tout en apportant une densité à l’image et une liberté au cadrage. J’ai voulu faire un film de cinéma. »
Il cherchait également à montrer comment les choses peuvent parfois dérailler. « L’élément perturbant de mon film, ce sont les nudistes révolutionnaires. On m’avait raconté l’histoire d’un gars qui faisait de la planche à voile tout nu pour des émissions de téléréalité. Dans Perdrix, ce personnage s’est fait des amis : un groupuscule révolutionnaire nudiste. Je ne leur offre pas de discours. Leur action est absurde. À Bruxelles, on voit des cyclistes nus. Mon idée est partie de la blague. J’ai mis à côté des reconstitutions historiques de batailles locales de la Seconde Guerre mondiale, effectuées avec un souci d’exactitude.»
Certains des protagonistes prônent l’artifice des costumes, d’autres la nudité, poursuit-il. «Le frère de Pierre Perdrix est un scientifique spécialiste des vers de terre maniant un discours écologique un peu malhabile. Le film est peuplé de personnages qui s’enfargent dans leur vie. » Des décalages et des abîmes intérieurs, le cinéaste fait son miel en posant sa griffe d’étrangeté un peu partout.
Et que prépare désormais Erwan Le Duc ? « Un film dans la même veine que Perdrix, qui passe d’un genre à l’autre, creuse un sillon imprévisible à travers des émotions et des lignes absurdes, répond-il. On vit dans une époque qui tente de se mettre à l’abri. Moi, je cherche juste à demeurer dans la prise de risque et la création artistique. Il faut trahir l’époque. »