Devine qui vient inspecter
Atom Egoyan aime jongler avec diverses temporalités, mais affiche aussi l’usure du temps
Les décennies 1980 et 1990 ont quelque peu appartenu à Atom Egoyan, période faste et inspirée (Family Viewing, Exotica, De beaux lendemains). Or, son rayonnement international, lui permettant d’attirer dans son sillage des acteurs de renom, ne fut pas garant d’une longévité triomphante.
Il est toutefois demeuré fidèle à ses thèmes (les mensonges, les trahisons, les duplicités), et les aborde sous l’enrobage d’intrigues policières (Captives, Le noeud du diable), ou de quêtes personnelles aux accents morbides (Chloé, Souviens-toi). On retrouve quelques-uns de ces ingrédients dans
L’invité d’honneur (Guest of Honour), le tout assaisonné de références culinaires puisque la figure centrale de cette recherche de la vérité (conjugale, familiale et sentimentale) inspecte méticuleusement les restaurants pour s’assurer de leur salubrité. Une stratégie narrative avec au centre un héros neurasthénique qui pourrait être le lointain cousin de celui de
L’expert en sinistres.
Dans son plus récent film, ce représentant de la loi semble porter le poids du monde sur ses épaules, et pas seulement parce qu’il possède un droit de vie ou de mort sur n’importe quel boui-boui mal famé. Jim (David Thewlis, en perdant magnifique) traîne avec lui une tristesse infinie, liée à son veuvage, mais aussi à l’absence de sa fille, Veronica (Laysla De Oliveira, plus d’élégante que réellement émouvante), incarcérée pour des raisons aussi multiples qu’obscures (une des zones d’ombre d’un scénario plus alambiqué qu’énigmatique).
Dans ce qui ressemble d’abord à un long et prévisible retour en arrière, Veronica s’épanche auprès d’un prêtre (Luke Wilson, qui a ici raté sa vocation, celle de choisir le bon rôle) sur le passé de Jim maintenant disparu, à l’heure de préparer son oraison funèbre. Une manière de faire revivre le propre enfer du père éploré, alors qu’il cherche lui aussi à démêler les fils de l’étrange affaire dans laquelle s’est emmêlée celle qui enseignait la musique à des adolescents subjugués par ses charmes.
Depuis toujours connu pour sa manière de remettre en question notre rapport au réel, à travers le filtre des caméras portatives comme celui des souvenirs, Atom Egoyan revisite cette approche en faisant réapparaître une des rares périodes heureuses dans la vie de Jim, celles avec la mère de Veronica, aussi belle et rayonnante que leur progéniture. Cette vidéo familiale, Jim la capte une seconde fois à partir de son téléphone, élément de preuve qu’il montre à sa fille emprisonnée. Et qui le tient pour responsable depuis longtemps d’un incident dont ils n’ont absolument pas la même interprétation.
Il faudra cette longue confession dans une église pour dissiper, bien que trop tard, les malentendus qui ont ponctué, voire empoisonné, les rapports entre ces deux écorchés vifs. Une relation père-fille dont l’intensité et les remous se perdent dans les méandres d’un récit jonglant avec trois temporalités, un exercice familier pour Egoyan, mais dans lequel il s’est égaré. Car bien malin celui qui comprendra les motivations profondes de Veronica à vouloir rester en prison — un prétexte qui ne tiendrait pas la route dans un film américain… —, ou pourra s’extasier devant l’utilisation symbolique de ces lapins qui tapissent l’image, source de réconfort pour les uns, potentielle menace de déchéance économique pour les autres.
Entre les images chatoyantes et automnales de Paul Sarossy, grand complice du cinéma d’Egoyan, et la musique de Mychael Danna, aux sonorités variées, se moulant aux décors multiculturels de la ville d’Hamilton en Ontario, L’invité d’honneur nous transporte dans les paysages familiers d’un cinéaste hanté depuis longtemps par les mêmes obsessions. Dommage que dans son restaurant, il nous serve un peu toujours la même recette, à peine réchauffée, et somme toute pas très assaisonnée.
L’invité d’honneur
(V.F. de Guest of Honour)
1/2
Drame psychologique d’Atom Egoyan. Avec David Thewlis, Laysla De Oliveira, Rossif Sutherland, Luke Wilson. Canada, 2019, 105 minutes.