Le Devoir

Devine qui vient inspecter

Atom Egoyan aime jongler avec diverses temporalit­és, mais affiche aussi l’usure du temps

- ANDRÉ LAVOIE

Les décennies 1980 et 1990 ont quelque peu appartenu à Atom Egoyan, période faste et inspirée (Family Viewing, Exotica, De beaux lendemains). Or, son rayonnemen­t internatio­nal, lui permettant d’attirer dans son sillage des acteurs de renom, ne fut pas garant d’une longévité triomphant­e.

Il est toutefois demeuré fidèle à ses thèmes (les mensonges, les trahisons, les duplicités), et les aborde sous l’enrobage d’intrigues policières (Captives, Le noeud du diable), ou de quêtes personnell­es aux accents morbides (Chloé, Souviens-toi). On retrouve quelques-uns de ces ingrédient­s dans

L’invité d’honneur (Guest of Honour), le tout assaisonné de références culinaires puisque la figure centrale de cette recherche de la vérité (conjugale, familiale et sentimenta­le) inspecte méticuleus­ement les restaurant­s pour s’assurer de leur salubrité. Une stratégie narrative avec au centre un héros neurasthén­ique qui pourrait être le lointain cousin de celui de

L’expert en sinistres.

Dans son plus récent film, ce représenta­nt de la loi semble porter le poids du monde sur ses épaules, et pas seulement parce qu’il possède un droit de vie ou de mort sur n’importe quel boui-boui mal famé. Jim (David Thewlis, en perdant magnifique) traîne avec lui une tristesse infinie, liée à son veuvage, mais aussi à l’absence de sa fille, Veronica (Laysla De Oliveira, plus d’élégante que réellement émouvante), incarcérée pour des raisons aussi multiples qu’obscures (une des zones d’ombre d’un scénario plus alambiqué qu’énigmatiqu­e).

Dans ce qui ressemble d’abord à un long et prévisible retour en arrière, Veronica s’épanche auprès d’un prêtre (Luke Wilson, qui a ici raté sa vocation, celle de choisir le bon rôle) sur le passé de Jim maintenant disparu, à l’heure de préparer son oraison funèbre. Une manière de faire revivre le propre enfer du père éploré, alors qu’il cherche lui aussi à démêler les fils de l’étrange affaire dans laquelle s’est emmêlée celle qui enseignait la musique à des adolescent­s subjugués par ses charmes.

Depuis toujours connu pour sa manière de remettre en question notre rapport au réel, à travers le filtre des caméras portatives comme celui des souvenirs, Atom Egoyan revisite cette approche en faisant réapparaît­re une des rares périodes heureuses dans la vie de Jim, celles avec la mère de Veronica, aussi belle et rayonnante que leur progénitur­e. Cette vidéo familiale, Jim la capte une seconde fois à partir de son téléphone, élément de preuve qu’il montre à sa fille emprisonné­e. Et qui le tient pour responsabl­e depuis longtemps d’un incident dont ils n’ont absolument pas la même interpréta­tion.

Il faudra cette longue confession dans une église pour dissiper, bien que trop tard, les malentendu­s qui ont ponctué, voire empoisonné, les rapports entre ces deux écorchés vifs. Une relation père-fille dont l’intensité et les remous se perdent dans les méandres d’un récit jonglant avec trois temporalit­és, un exercice familier pour Egoyan, mais dans lequel il s’est égaré. Car bien malin celui qui comprendra les motivation­s profondes de Veronica à vouloir rester en prison — un prétexte qui ne tiendrait pas la route dans un film américain… —, ou pourra s’extasier devant l’utilisatio­n symbolique de ces lapins qui tapissent l’image, source de réconfort pour les uns, potentiell­e menace de déchéance économique pour les autres.

Entre les images chatoyante­s et automnales de Paul Sarossy, grand complice du cinéma d’Egoyan, et la musique de Mychael Danna, aux sonorités variées, se moulant aux décors multicultu­rels de la ville d’Hamilton en Ontario, L’invité d’honneur nous transporte dans les paysages familiers d’un cinéaste hanté depuis longtemps par les mêmes obsessions. Dommage que dans son restaurant, il nous serve un peu toujours la même recette, à peine réchauffée, et somme toute pas très assaisonné­e.

L’invité d’honneur

(V.F. de Guest of Honour)

1/2

Drame psychologi­que d’Atom Egoyan. Avec David Thewlis, Laysla De Oliveira, Rossif Sutherland, Luke Wilson. Canada, 2019, 105 minutes.

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PHOTOS ENTRACT FILMS Jim (David Thewlis, en perdant magnifique) traîne avec lui une tristesse infinie, liée à son veuvage, mais aussi à l’absence de sa fille, Veronica, incarcérée pour des raisons aussi multiples qu’obscures .
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Luke Wilson en prêtre : il a ici raté sa vocation, celle de choisir le bon rôle.

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