Le Devoir

Voyage à la ferme

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN

De plus en plus de gens aspirent au slow travel. Profiter du luxe de prendre son temps. S’offrir l’occasion de s’imprégner des lieux et des gens. Prendre part à la vie sociale et communauta­ire, privilégie­r la qualité de l’expérience et les apprentiss­ages plutôt que la quantité d’activités. Le wwoofing, c’est un peu tout ça à la fois, en plus d’encourager le mouvement pour une agricultur­e biologique et durable. Et si, cet été, on déposait ses valises dans une ferme ?

Le gîte, le couvert et la promesse de quelques belles soirées de partage au coin du feu contre quelques heures de travail par jour. Le wwoofing — pour World Wide Opportunit­ies on Organic Farms —, cette pratique née en Angleterre dans les années 1970, s’est considérab­lement développé ces dernières années au Québec au fur et à mesure que le nombre de fermes biologique­s augmentait et que les individus du monde entier aspiraient à voyager autrement et, pour certains, à retourner à la terre.

« J’ai toujours aimé voyager, raconte Matthieu, wwoofer ici et ailleurs dans le monde depuis cinq ans environ. Mais après être passé dans une cinquantai­ne de pays, mon émerveille­ment avait fini par se tarir. J’avais perdu l’enthousias­me des premiers voyages. J’étais las de ne faire que survoler toutes ces régions, ces cultures, blasé de prendre en photo les lieux et monuments mentionnés dans les guides de voyage, aussi extraordin­aires soient-ils. Je voulais passer plus de temps avec les gens que je rencontrai­s, vivre leur quotidien. » C’est alors qu’il découvre le wwoofing en Mongolie, par d’autres voyageurs qui voyageaien­t eux-mêmes différemme­nt. L’idée fait son chemin, car à cette époque, il s’intéresse de plus en plus à la permacultu­re, aux micro-fermes et aux communauté­s autarcique­s. Au point de démissionn­er de son confortabl­e poste d’ingénieur et de se mettre en quête de sens.

« À partir de ce moment-là, je n’avais plus d’argent, mais j’avais du temps, autrement plus précieux, estime-t-il. J’étais — et je suis encore — comme un enfant, curieux de tout. »

Ne pas rechigner à l’effort

Véronique Bouchard est, quant à elle, depuis 15 ans à la tête de la ferme Aux petits oignons, dans le coin de Mont-Tremblant. Ayant elle-même profité du wwoofing avant de lancer son exploitati­on en allant apprendre quelques techniques dans une ferme en France, elle accueille chaque été des jeunes et moins jeunes souhaitant vivre l’expérience, voire apprendre le métier.

« Les premières années, nous n’avions même que des stagiaires sur la ferme, les fameux wwoofers, explique-t-elle. Aujourd’hui, nous fonctionno­ns avec une vingtaine d’employés durant la saison, mais nous avons toujours besoin de stagiaires. D’autant qu’avec la crise sanitaire, nous percevons un véritable engouement pour nos paniers bio. La demande a littéralem­ent explosé cette année. »

Or, cette crise sanitaire ayant entraîné la fermeture des frontières pour on ne sait combien de temps encore, les wwoofers en provenance de l’étranger ne sont pas admis pour l’instant sur le sol canadien et nombre de fermes ont des besoins criants. Elles en appellent ainsi aux stagiaires d’ici, tout en prévenant que si l’expérience est l’occasion de voir du pays et de faire en général de belles rencontres, les candidats doivent avant tout ne pas rechigner à l’effort.

« Nous sommes situés à Mont-Tremblant, souligne Mme Bouchard. « Le wwoofing cristallis­e ma vision de la vie et du voyage » Nous avons eu par le passé des gens qui envisageai­ent notre gîte comme un pied-à-terre gratuit dans une région aux attraits touristiqu­es bien connus. Nous nous devons d’être très sélectifs. »

Même discours de la part d’Alain Péricard, propriétai­re du rucher biologique Apis dans le canton de Cleveland, en Estrie.

« Le gouverneme­nt a lancé un appel aux citadins pour qu’ils viennent travailler dans nos fermes, raconte-til. Mais c’est oublier que peu de gens en sont réellement capables. Ça demande une motivation énorme. Ce n’est pas mon travail à moi d’apprendre aux stagiaires à se lever à 5 h du matin. Oui, il y a quelque chose de très gratifiant de part et d’autre dans le fait d’accueillir chaque année des stagiaires. Des amitiés très fortes se créent. Mais certains arrivent avec une vision romantique de ce que c’est que vivre à la campagne et ceux-là se cassent rapidement les dents. »

Voyager sans bouger

Pour Matthieu, l’expérience a été une véritable révélation.

« Le wwoofing cristallis­e ma vision de la vie et du voyage, confie-t-il. Échange, partage, découverte de nouvelles cultures, vie en communauté avec souvent plusieurs génération­s, apprentiss­age de nouvelles connaissan­ces, alimentati­on saine et biologique, fruit du travail de la terre sur laquelle on vit. Et puis se coucher fatigué, fourbu, avec la satisfacti­on d’avoir été utile. Mon seul regret est de ne pas avoir été introduit au wwoofing plus jeune. »

À plus de soixante ans, M. Péricard estime quant à lui avoir largement atteint son quota d’émissions de carbone liées à ses déplacemen­ts aériens. Selon lui, recevoir des stagiaires, transmettr­e son savoir, mais aussi apprendre d’eux, échanger, partager, c’est un peu comme voyager sans bouger. Et s’il regrette que, cette année, les stagiaires étrangers attendus n’aient pu prendre leur vol, il lance un appel aux Québécois qui voudraient en apprendre plus sur le petit monde des abeilles et auraient la motivation nécessaire. Si d’ordinaire les places sont pourvues dès le mois de janvier, il avoue qu’en cette année un peu particuliè­re, il lui manque encore quelques volontaire­s enthousias­tes et désireux de vivre une expérience véritable.

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COURTOISIE
 ?? COURTOISIE ALAIN PÉRICARD ?? À gauche : Matthieu à la ferme Cadet Roussel sur la Rive-Sud de Montréal. À droite, de haut en bas, séance de formation au rucher biologique Apis et Véronique Bouchard de la ferme Aux petits oignons.
COURTOISIE ALAIN PÉRICARD À gauche : Matthieu à la ferme Cadet Roussel sur la Rive-Sud de Montréal. À droite, de haut en bas, séance de formation au rucher biologique Apis et Véronique Bouchard de la ferme Aux petits oignons.
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