Lettre à mon ado et à son homard, la chronique de Josée Blanchette |
Lettre à mon ado et à son homard
Mon grand B, Te voici accédant à une aube nouvelle, trop grand pour épouser mes bras et juste assez petit pour tapisser mon coeur tout entier. À la veille de tes 17 ans, cette semaine, tu m’as confié : « Les ados, on est comme des homards qui muent. C’est Françoise Dolto qui a dit ça. Faut nous laisser tranquilles pendant qu’on refait notre carapace. »
J’avais le livre La cause des adolescents de la célèbre psychanalyste dans ma bibliothèque. J’en ai relu des passages grâce à toi. J’en ai profité pour rouvrir l’essai de notre ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, Et si on réinventait l’école ?, publié en 2016. On peut dire qu’ils n’ont pas raté leur coup. Bam ! Et ça ne faisait partie d’aucun programme, ni électoral ni éducatif. Mais le résultat est criant. Vous écopez malgré tout, à une saison critique, celle du homard.
Le psychologue Marc Pistorio m’a glissé récemment en entrevue qu’on ne peut mesurer l’impact qu’auront toutes les mesures antisociales adoptées en ce moment sur cette cohorte d’ados. Mais il y aura des séquelles : « C’est un tour de force de se révéler à une époque de pandémie qui les éteint. »
Je t’ai demandé si je pouvais parler de ton anxiété ici, parce que chez les 18 à 24 ans, 37 % souffrent de symptômes anxieux ou dépressifs selon une enquête de l’Université de Sherbrooke, qui date de septembre, avant la deuxième vague. Ce ne doit guère être mieux chez les 12-17 ans. « Vas-y maman ! Parles-en ! »
Les pédiatres aussi ont lancé un cri d’alarme cette semaine, se portant à la défense de votre génération sacrifiée. « Des adolescents qui ne vont pas bien à cause de la COVID, il n’y en a à peu près pas, mais des adolescents qui vont mal à cause des mesures mises en place depuis six mois, il y en a des centaines et des milliers », a révélé une pédiatre en entrevue. Et encore, ils ne savent pas tout. Tu pourrais faire du bénévolat chez Tel-Jeunes. Tu es mon héros de tous les jours. (Et je suis un peu adomasochiste.)
Retrouver l’enchantement
Et moi qui voulais t’offrir un horizon à ta hauteur. En vérité, j’ai échappé le monde, mon B. Ça me désespère. Pour toi et tous tes amis, qui sont mes enfants aussi, je n’ai pas de plan B. L’autre jour, tu étais fâché : « Mais pourquoi ils nous montrent des films sur les changements climatiques à l’école ? On ne peut rien faire, nous ! On n’en a plus, d’avenir…
Toi, tu as 57 ans, mais moi, je vais en avoir 17 ! » Tu venais de visionner Before the Flood de Leonardo DiCaprio et ton anxiété avait grimpé d’un cran. Tu te sentais impuissant et traqué.
Je t’ai calmé en te parlant de Greta Thunberg qui a fait beaucoup avec son « rien » et en te disant que, non, vous deviez savoir pour changer vous aussi, pour vous battre, pour voter « du bon bord » dès l’année prochaine.
L’éducation, l’information avant l’action, c’est la clé de voûte. Je félicite ta prof de vous avoir mis les yeux en face de cette réalité anxiogène dont la pandémie n’est qu’un autre symptôme. Il faut que le réveil soit brutal. Ça fera mal. Je ne pourrai pas t’épargner cette réalité.
Le masque ne se porte pas sur les yeux, sauf chez les climatosceptiques qui ont beaucoup en commun avec les complotistes, en particulier le déni. Tu as toutes les raisons de nous
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu’on a des tilleuls
»
verts sur la promenade.
ARTHUR RIMBAUD
Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance […] tu as été créé pour des moments
»
peu communs
RENÉ CHAR
jeter la pierre puisque les autorités alertées par les experts savaient depuis des décennies. En fait, lorsque j’avais ton âge, ils détenaient déjà toutes les projections et les chiffres. Je lis la pièce de théâtre Pétrole, de François Archambault, qui devait être présentée le mois dernier chez Duceppe.
Faute de pouvoir y assister, je plonge dans cette fiction-réalité sur notre immobilisme criminel. Je suis persuadée que ta génération a mangé sa brioche en premier et qu’il vous faudra non seulement réapprendre à pétrir le pain, mais à faire pousser le blé. Et ce n’est pas une métaphore pour envisager les crises économiques qui vous attendent.
Tu es stupéfait par notre incohérence. Les politiciens écoutent les scientifiques comme des béni-oui-oui lorsqu’il s’agit de notre santé, mais ils font la sourde oreille devant les mêmes savants lorsqu’il s’agit de celle de notre planète. Une entreprise de patchage au duct tape s’opère sous nos yeux éberlués.
Je t’envoie des citations de l’agrophilosophe et père de la « sobriété heureuse », Pierre Rabhi, pour t’encourager sur Instagram. La dernière : « La sobriété permet de retrouver la vibration de l’enchantement. » Puisses-tu être enchanté par le peu.
Liberté et beauté
Dans le récent livre Notre façon d’être adulte fait-elle sens et envie pour les jeunes ?, le psychothérapeute Thomas D’Ansembourg parle d’être. « Faire n’est pas l’objectif de la vie. L’objectif est l’enchantement d’être. »
Tu as soif d’authenticité, de vrai, no bullshit. Ça donne un sens, une direction, même s’il faut assumer.
Mon père m’a déjà dit, lorsque j’avais 30 ans, que le mot qui me définit le mieux est « liberté ». Je risquerais à mon tour pour toi le mot « beauté » ; elle sera ton guide, ton refuge, ton baume. L’harmonie fait partie de tes gènes d’octobre. Ne t’y trompe pas, ta nature en a besoin comme un cégépien d’un party de fin de session. Coco Chanel disait que la beauté commence au moment où tu décides d’être toi-même.
Voilà ce que je te souhaite, en définitive. Je te veux 100 % toi, libéré du regard des autres, confiant dans ton potentiel immense, généreux comme tu l’as toujours été, épaulant, embrassant de tes grands bras solides, attendri par la vie qui sait se faire si jolie dans ton regard bleu.
Je souhaite à toutes tes fragilités d’homme de trouver un endroit où fleurir, que tu puisses pardonner à tous ces irresponsables qui ont assombri tes horizons ou t’ont dupé de leurs promesses creuses, à la fois dans l’intime et l’universel. Trahir un enfant, piétiner sa confiance et sa désinvolture, il n’y a pas pire lâcheté.
Je te souhaite surtout de ne pas être sérieux (c’est pas Dolto, mais Rimbaud). Après tout, tu n’as que 17 ans.
Le psychologue Marc Pistorio m’a glissé récemment en entrevue qu’on ne peut mesurer l’impact qu’auront toutes les mesures antisociales adoptées en ce moment sur cette cohorte d’ados