Le Devoir

La quête d’un médecin de famille reste problémati­que

Impossible de mesurer l’impact de l’incitatif d’un milliard mis sur la table par Québec, note Guylaine Leclerc

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

La Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) réfute les conclusion­s de la vérificatr­ice générale qui, à son avis, viennent ternir la réputation de ses membres. Dans son rapport annuel déposé à l’Assemblée nationale jeudi, Guylaine Leclerc constate que plus d’un demi-million de Québécois sont toujours sans médecin de famille malgré le milliard de dollars versés aux omnipratic­iens depuis trois ans pour les inciter à prendre davantage de patients en charge.

« Ce qui est malheureux, c’est que le rapport de la vérificatr­ice générale donne encore l’impression que les médecins de famille n’ont pas fait leur travail et qu’ils n’ont pas atteint l’objectif qui était fixé, plutôt que de regarder tout le chemin qui est parcouru, a dit le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin, visiblemen­t en colère. On est à 82 % malgré le fait qu’on manque de médecins. Il n’y a pas beaucoup de groupes au Québec qui ont augmenté leur charge de travail comme les médecins de famille l’ont fait au cours des dernières années, et ça en tenant compte [du fait] qu’ils travaillen­t autant sinon plus que les médecins de famille ailleurs au Canada. »

Le taux de Québécois qui ont accès à un médecin de famille était de 67 % il y a environ quatre ans et demi, a-til fait valoir. Or, la vérificatr­ice générale a analysé les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sur trois ans, soit de 20162017 à 2018-2019. Elle arrive à la conclusion que le nombre de patients orphelins est en partie attribuabl­e au fait que le MSSS est incapable d’évaluer l’efficacité des primes versées aux omnipratic­iens.

Les médecins se défendent de n’avoir pas rempli leur partie du contrat, même s’ils n’ont pas atteint l’objectif auquel ils avaient souscrit

« Le ministère n’est pas en mesure de savoir si ça a donné les résultats escomptés parce que ces mesures incitative­s sont pour l’accès et non pas juste pour l’inscriptio­n, a-t-elle déclaré en conférence de presse. L’inscriptio­n, c’est un indicateur, mais ce n’est pas parce que tu es inscrit auprès d’un médecin de famille que tu y as accès. »

Détériorat­ion

Au 31 décembre 2019, 82 % des Québécois avaient un médecin de famille, en deçà de la cible de 85 % fixée dans l’entente entre la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) et le MSSS conclue en 2015. En tout, 597 484 personnes étaient inscrites au Guichet d’accès à un médecin de famille, une augmentati­on de 41 % en trois ans. De ce nombre, 185 237 personnes vulnérable­s attendaien­t en moyenne 367 jours avant qu’on leur désigne un omnipratic­ien. Le délai moyen augmente à 477 jours pour les autres. Depuis, la situation s’est encore détériorée, comme le rapportait Le Devoir récemment. La vérificatr­ice générale note que le ministère a reporté l’atteinte de cet objectif de 2020 à 2022-2023.

En vertu de cette entente, les omnipratic­iens ont reçu 980,5 millions de dollars de primes en trois ans pour la prise en charge de patients. Elle prévoyait l’applicatio­n de moyens coercitifs contenus dans la loi 20 de l’ex-ministre libéral de la Santé, Gaétan Barrette, si la cible de 85 % n’était pas atteinte. Or, le MSSS ne les utilise pas puisqu’il peine à mesurer l’accès aux médecins de famille.

De plus, près de 72 % des 2,5 millions de visites aux urgences en 2018-2019 ont été effectuées par des patients inscrits pour des problèmes de santé non urgents ou moins urgents. « Il semble donc qu’il soit encore difficile de rencontrer un médecin de famille même pour les personnes qui en ont un », souligne Mme Leclerc dans son rapport. Elle note le manque de fiabilité du taux d’assiduité des omnipratic­iens dont dispose le ministère et ne possède pas de données précises sur les départs de médecins de famille à la retraite.

Mme Leclerc constate également le peu d’adhésion des médecins de famille au système Rendez-vous santé Québec, dont la mise sur pied a coûté 15,6 millions de dollars. À peine 6,5 % d’entre eux utilisent ce site Internet pour offrir des rendez-vous, ce qui empêche le ministère d’évaluer l’efficacité des mesures incitative­s offertes aux médecins. Les omnipratic­iens ne sont pas obligés d’y adhérer. Le gouverneme­nt entend-il le rendre obligatoir­e ?

« C’est exactement ce dont on discute avec eux en ce moment, a répondu le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui dit avoir rencontré la FMOQ à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. On a un plan très clair qui fait partie de la stratégie qu’on a mise en place pour que les Québécois aient un meilleur accès à leur médecin de famille. Un des indicateur­s pour nous, c’est de s’assurer que tous les Québécois — incluant ceux qui n’ont pas accès à un médecin de famille — puissent avoir un rendez-vous à l’intérieur de 36 heures. Ça, c’est un engagement qu’on a pris il y a deux ans. »

À venir

Le gouverneme­nt avait annoncé en août la création d’un agrégateur pour toutes les plateforme­s de prise de rendez-vous en ligne, privées ou publiques, au coût de 2,9 millions de dollars. Cette solution doit d’abord être déployée à Montréal au cours de l’automne, puis graduellem­ent dans les autres régions du Québec.

Par ailleurs, le ministère de la Santé a ajouté un indicateur dans son plan stratégiqu­e pour connaître le pourcentag­e de Québécois qui ont pu consulter leur médecin en 36 heures. Le délai sera mesuré par sondage. La vérificatr­ice générale doute que cette méthode donne « un résultat juste et précis ». Elle recommande au ministère de se doter d’indicateur­s fiables, de communique­r des données sur l’accès réel aux soins de santé des Québécois et de respecter ses exigences légales pour la publicatio­n du délai moyen pour l’obtention d’un rendez-vous avec un omnipratic­ien.

Les partis d’opposition ont des doutes sur la gestion du dossier par le gouverneme­nt caquiste. Québec solidaire juge l’augmentati­on du nombre de Québécois en attente d’un médecin de famille « inacceptab­le ». Le Parti québécois s’attend quant à lui à « beaucoup plus de rigueur » de la part du gouverneme­nt.

Le rapport de la vérificatr­ice générale donne encore l’impression que les médecins de famille n’ont »

pas fait leur travail

LOUIS GODIN

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