Le Devoir

L’autre séparatism­e

- CHRISTIAN RIOUX

Kebbab est née à Vaulx-en-Velin, près de Lyon. Une banlieue qui ressemble à celle qui est décrite dans le film Les misérables, de Ladj Ly. Semblables aux personnage­s du film, ses parents étaient algériens et analphabèt­es. Le père était éboueur et la mère femme au foyer. J’utilise l’imparfait, car les deux sont morts. Le père d’abord, lorsque Linda n’était qu’adolescent­e. La mère, ensuite, d’un accident de voiture qui laissa la jeune fille seule avec ses deux jeunes frères.

Mais, Linda n’était pas du genre à traîner à la mosquée ou à se livrer au trafic de drogue comme les petits caïds des Misérables. Elle bossait, elle ! Et pas qu’un peu. Ses parents lui ont enseigné la chance qui était la sienne « d’être née en France, cette terre où nous sont accordés les mêmes droits que tout le monde, sans distinctio­n », écrit-elle dans un livre témoignage intitulé Gardienne de la paix et de la révolte (Stock).

Linda aurait pu vivre dans le ressentime­nt en se répétant comme un mantra les mots « racisme systémique ». Elle aurait pu s’égarer avec 60 ans de retard dans une chimérique lutte « décolonial­e » alors que le pays de ses parents est depuis longtemps indépendan­t et qu’il n’est plus le sien. « Née en 1981, dit-elle, je suis fière et reconnaiss­ante d’être une enfant de Mitterrand, comme on nous appelait à l’époque : une gosse de la sécurité sociale, de l’école gratuite et de la politique familiale. Avec très tôt cette conscience vive que des millions d’autres petites filles dans le monde sont, contrairem­ent à moi, déscolaris­ées et privées de loisirs. »

Elle s’est donc accrochée et a relevé ses manches pour trouver sa place dans cette société qui demeure, avec quelques autres, parmi les moins racistes du monde. Sa mère l’imaginait avocate. Elle se rêvait reporter de guerre. Elle sera flic ! Après tout, les policiers ne sont-ils pas souvent le dernier recours des opprimés ? Et les zones de guerre ne manquent pas dans certains quartiers. Devenue syndicalis­te, on la verra sur les plateaux de télévision pendant les manifestat­ions des gilets jaunes se faire l’avocate de ses collègues chargés de faire respecter l’ordre face à ces manifestan­ts souvent violents, mais envers qui Linda n’a jamais caché ses sympathies.

Son parcours ne colle pas vraiment avec le discours victimaire qui sature aujourd’hui l’espace médiatique. Comme elle l’écrit, « chez nous, pas de fatalisme. Juste l’idée qu’il faut travailler, voire fournir deux fois plus d’efforts que les autres si le destin ne nous a pas placés au bon endroit. » Car la France, comme le Québec d’ailleurs, ne manque pas de ces réussites flamboyant­es. Signe que, si rien n’est parfait, on peut y arriver.

Linda en a d’ailleurs beaucoup contre ces associatio­ns antiracist­es nées au début des années 1980 et qui, dit-elle, « ont fini par dévier totalement » de leur mission pour faire croire aux enfants d’immigrants qu’ils étaient prisonnier­s d’un plafond de verre. Ces associatio­ns, ditelle, « ont délaissé l’universali­sme qu’elles louaient pour donner naissance à de nouveaux collectifs » où « des militants radicaux se servent aujourd’hui de la colonisati­on et de l’esclavagis­me passés » pour faire « croire aux plus jeunes qu’ils sont encore sous la tutelle d’un colonisate­ur. » Bref, ils les enferment dans une case.

Dans son livre, Linda n’a pas que des mots doux à l’égard de ces banlieues sous l’emprise des mafias et des imams où les policiers n’osent plus se rendre. Elle décrit ces guets-apens régulièrem­ent tendus dans certains quartiers aux forces de l’ordre, et même aux pompiers, où on les caillasse, quand on ne les accueille pas à coups de cocktails Molotov. Elle évoque le nombre élevé de suicides dans la police (59 en 2019) et raconte ces « territoire­s perdus de la République » aujourd’hui sous la coupe de l’islamisme où les jeunes filles ne peuvent plus se promener en jupe de peur de se faire insulter.

Nul doute que Linda a dû trouver un certain réconfort en entendant, vendredi dernier, le président français reconnaîtr­e pour la première fois l’existence en France d’un « séparatism­e islamiste ». Ce discours prononcé dans la banlieue des Mureaux, à 30 km de Paris, était attendu depuis longtemps. Selon les sondages, il a été applaudi par 75 % des Français. Emmanuel Macron ne fait pourtant qu’admettre publiqueme­nt ce que son prédécesse­ur François Hollande avait avoué en « off », dans ses entretiens avec les journalist­es Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Un président ne devrait pas dire ça, Stock).

« Comment éviter la partition ? » avait alors demandé François Hollande. « Car c’est quand même cela qui est en train de se produire : la partition », concluait-il. Il aura fallu presque 20 ans pour qu’un président reconnaiss­e publiqueme­nt une réalité que des auteurs courageux, sous la direction de l’historien Georges Bensoussan, avaient pourtant identifiée dès 2002 dans un livre devenu culte : Les territoire­s perdus de la République (Pluriel). Hier encore, les auteurs de ce livre se faisaient traiter d’islamophob­es pour avoir simplement décrit la réalité.

Il n’est jamais trop tard pour sortir du déni.

Linda aurait pu vivre dans le ressentime­nt en se répétant comme un mantra les mots « racisme systémique ». [...] Elle s’est accrochée et a relevé ses manches pour trouver sa place dans cette société qui demeure, avec quelques autres, parmi les moins racistes du monde.

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