Le Devoir

Attention, président en déroute

- GUY TAILLEFER

Dans la forme, un débat Pence/Harris plus civilisé, tout le contraire du spectacle ahurissant que Donald Trump a donné à voir lors du premier débat présidenti­el, il y a une semaine. Sur le fond, même dialogue de sourds, où le vice-président Mike Pence, dans le rôle de celui qui défend l’indéfendab­le, s’est employé à policer le trumpisme, avec une efficacité tordue, et non sans condescend­ance et mansplaini­ng. Tout sourire, la démocrate Kamala Harris ne s’en est pas laissé imposer mercredi soir (« M. Pence, j’ai la parole… ») ni ne l’a laissé dire n’importe quoi (« Les Américains ont été témoins de ce qui a été le plus gros échec de toute administra­tion présidenti­elle dans l’histoire de notre pays », lui a-t-elle asséné en rapport avec la crise sanitaire), mais on aurait quand même aimé qu’elle soit plus mordante encore : quand le républicai­n a essayé de faire passer Trump pour un environnem­entaliste sensé ; quand il a accusé les démocrates, à l’envers de la vérité, de politiser la crise du coronaviru­s ; et quand il a nié contre toute évidence que la bataille que menait le gouverneme­nt Trump devant la Cour suprême contre l’Affordable Care Act (l’Obamacare) allait priver d’assurance maladie un grand nombre d’Américains.

Vrai que ces débats sont souvent moins des débats que des jeux d’esquive, ce dont M. Pence est maître. Vrai qu’en l’occurrence, la stratégie électorale des démocrates a largement consisté, et les sondages leur donnent raison jusqu’à maintenant, à laisser cette présidence s’autodétrui­re et la réalité parler d’elle-même, tant il devient clair pour une majorité d’électeurs que la gestion de crise de M. Trump est d’une incompéten­ce gravissime. Vrai enfin que Mme Harris, pour qui il fallait avoir l’air « présidenti­able », composait avec le vice de culture sociale qui prive pour ainsi les femmes du droit à l’agressivit­é.

Il était attendu, cet unique débat vice-présidenti­el à l’importance singulière, surtout pour la sénatrice Harris — 55 ans, première femme de couleur à participer à un tel exercice — mais aussi pour M. Pence, 61 ans, comme ils sont les colistiers de candidats à la présidence nettement plus âgés (Joe Biden, bientôt 78 ans, M. Trump, 74). Ce qui fait d’elle et de lui l’avenir de chacun de leur parti — et les aptes représenta­nts de deux Amériques à couteaux tirés. Elle, femme progressis­te, lui, homme blanc évangéliqu­e. Mais il reste que, dans l’immédiat, c’est un débat qui laissera probableme­nt peu de traces, tant les positions de l’électorat sont campées. Stoïque, M. Pence a bien rempli sa mission auprès de la base républicai­ne, avec force évitements — et avec, pendant de longues secondes, une captivante mouche dans les cheveux —, mais il est fort douteux qu’il ait freiné significat­ivement la chute de M. Trump dans les intentions de vote (un sondage prédébat de CNN fait état d’un écart béant de 16 points).

Un débat qui n’y change rien, d’autant plus que M. Trump, dopé aux stéroïdes depuis son hospitalis­ation, a tôt fait de reprendre le contrôle de l’ordre du jour, jeudi matin, en annonçant sur Fox News qu’il n’avait rien à cirer du prochain débat présidenti­el, prévu jeudi prochain, après que la commission qui les organise eut décidé qu’il serait virtuel ; et en se lançant dans cette même entrevue dans une tirade sexiste contre Mme Harris.

À moins d’un mois de la présidenti­elle du 3 novembre, M. Trump fait chaque jour un peu plus la démonstrat­ion de sa dangerosit­é. Il est dangereux au vu de sa mise en scène hallucinan­te de sa « guérison », lundi soir à la Maison-Blanche ; au vu du fait qu’il continue de minimiser la gravité de l’épidémie, alors qu’elle s’aggrave à l’échelle du pays et que la MaisonBlan­che en est même devenue un foyer d’infection ; au vu du fait qu’il martèle le fait que le vote par correspond­ance préfigure une gigantesqu­e fraude électorale — ce que Pence a d’ailleurs répété en débat ; et qu’il excite à mots couverts la violence d’extrême droite.

Il est terribleme­nt nocif pour avoir décidé, mardi, de rompre « jusqu’après les élections » les négociatio­ns avec les démocrates d’un nouveau plan de sauvetage économique des personnes et des entreprise­s, dont les premières mesures sont arrivées à échéance il y a maintenant deux longs mois. Or, une PME sur cinq a fait faillite jusqu’à maintenant — ce sont 850 000 entreprise­s — et, pour ne donner qu’un autre exemple, trois millions d’employés en restaurati­on ont perdu leur emploi. L’économie américaine frôlant le point de rupture, les économiste­s de tous bords plaident l’urgence d’accoucher d’un plan d’aide. Y compris le président de la FED, Jerome Powell, nommé par Trump en 2017. Qui est loin d’être un tenant de la « gauche radicale ».

À moins d’un mois de la présidenti­elle du 3 novembre, M. Trump fait chaque jour un peu plus la démonstrat­ion de sa dangerosit­é

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