Le déni de la discrimination systémique
Il y aura bientôt vingt-cinq ans, en 1996, l’Assemblée nationale reconnaissait le caractère systémique de la discrimination fondée sur le sexe en adoptant l’article premier de la Loi sur l’équité salariale qui en stipule explicitement le principe.
Le système de plaintes, à la pièce devant les tribunaux, pour corriger les conséquences de stéréotypes négatifs, était du même coup considéré comme totalement inadéquat. L’opinion publique reconnaissait que, même en l’absence de discrimination volontaire ou d’intention explicite, il pouvait exister de la discrimination systémique produite par un système de valeurs intégré dans les moeurs et les institutions et qui se reflétait notamment par une rémunération sexiste sur le marché du travail.
À la discrimination systémique, il était largement convenu qu’une réponse systémique, même coûteuse, s’imposait.
Je vous propose de remplacer le mot « femmes » par « Autochtones » et de reconnaître que les stéréotypes négatifs à leur égard sont profonds. Je constate que de nombreux rapports ont fait état d’exclusions et d’inégalités systémiques et ont mesuré la gravité de la situation.
Je constate aussi le refus persistant du premier ministre et de son gouvernement à reconnaître qu’il s’agit là d’une discrimination systémique basée sur la race. Je déplore que ce refus permette d’échapper à la prise de conscience d’un nécessaire changement profond dans nos propres perceptions et responsabilités nationales.
À la suite de la mort de Joyce Echaquan, ce qui serait révoltant serait de croire suffisantes les sanctions à l’égard des soignantes personnellement impliquées dans ces propos racistes et dégradants. Ces propos violents n’ont pas pu être prononcés sans être implicitement tolérés dans le milieu environnant. Mais il y a plus encore à reconnaître.
Les perdants de l’histoire
Je transcris ici un des commentaires, parmi plusieurs reçus du même ordre sur les médias sociaux, en réponse à mon appui à la manifestation concernant la mort de Joyce Echaquan. « Faire référence au racisme systémique, c’est faire le jeu de Justin Trudeau et du multiculturalisme », m’a-t-on écrit. Je considère, a contrario, que dans l’interprétation de l’histoire de notre nation nous ne devons pas nous figer dans le seul rôle de l’assiégé. Je condamne les tentatives fédérales de nier notre existence comme nation, mais il faut reconnaître que l’inique Loi fédérale sur les Indiens n’est pas la seule responsable de la dévalorisation et de la négligence à l’égard des Premières Nations dans nos propres institutions et notre imaginaire collectif. Le reconnaître serait nous grandir nous-mêmes, nous affranchir d’Ottawa et entamer un véritable processus de nations à nations, tant souhaité par René Lévesque.
Ce n’est pas en plaidant notre état d’infériorisation passé que nous sommes maintenant légitimés de passer outre à notre responsabilité de remédier, dans toute la mesure de nos capacités, à celui des Autochtones vivant sur le même territoire que nous.
Cet état généralisé d’infériorisation, j’en ai pris conscience grâce au rapport, en 1965, de la commission royale d’enquête LaurendeauDunton. Les Canadiens français étaient, en comparaison avec les citoyens de toutes origines, moins dans tout, moins en santé, moins riches, moins instruits, etc., à l’exception des Autochtones qui nous suivaient et occupaient la dernière position. En un mot, eux et nous étions les perdants de l’Histoire.
Soyons conscients que les progrès que nous avons faits depuis grâce à la Révolution tranquille et à la confiance en nous-mêmes que nous avons acquise nous imposent des responsabilités accrues, dont celle de reconnaître le caractère systémique de la discrimination fondée sur la race.