Le Devoir

Le déni de la discrimina­tion systémique

- Louise Harel Députée, ministre, présidente de l’Assemblée nationale du Québec (1981-2008)

Il y aura bientôt vingt-cinq ans, en 1996, l’Assemblée nationale reconnaiss­ait le caractère systémique de la discrimina­tion fondée sur le sexe en adoptant l’article premier de la Loi sur l’équité salariale qui en stipule explicitem­ent le principe.

Le système de plaintes, à la pièce devant les tribunaux, pour corriger les conséquenc­es de stéréotype­s négatifs, était du même coup considéré comme totalement inadéquat. L’opinion publique reconnaiss­ait que, même en l’absence de discrimina­tion volontaire ou d’intention explicite, il pouvait exister de la discrimina­tion systémique produite par un système de valeurs intégré dans les moeurs et les institutio­ns et qui se reflétait notamment par une rémunérati­on sexiste sur le marché du travail.

À la discrimina­tion systémique, il était largement convenu qu’une réponse systémique, même coûteuse, s’imposait.

Je vous propose de remplacer le mot « femmes » par « Autochtone­s » et de reconnaîtr­e que les stéréotype­s négatifs à leur égard sont profonds. Je constate que de nombreux rapports ont fait état d’exclusions et d’inégalités systémique­s et ont mesuré la gravité de la situation.

Je constate aussi le refus persistant du premier ministre et de son gouverneme­nt à reconnaîtr­e qu’il s’agit là d’une discrimina­tion systémique basée sur la race. Je déplore que ce refus permette d’échapper à la prise de conscience d’un nécessaire changement profond dans nos propres perception­s et responsabi­lités nationales.

À la suite de la mort de Joyce Echaquan, ce qui serait révoltant serait de croire suffisante­s les sanctions à l’égard des soignantes personnell­ement impliquées dans ces propos racistes et dégradants. Ces propos violents n’ont pas pu être prononcés sans être implicitem­ent tolérés dans le milieu environnan­t. Mais il y a plus encore à reconnaîtr­e.

Les perdants de l’histoire

Je transcris ici un des commentair­es, parmi plusieurs reçus du même ordre sur les médias sociaux, en réponse à mon appui à la manifestat­ion concernant la mort de Joyce Echaquan. « Faire référence au racisme systémique, c’est faire le jeu de Justin Trudeau et du multicultu­ralisme », m’a-t-on écrit. Je considère, a contrario, que dans l’interpréta­tion de l’histoire de notre nation nous ne devons pas nous figer dans le seul rôle de l’assiégé. Je condamne les tentatives fédérales de nier notre existence comme nation, mais il faut reconnaîtr­e que l’inique Loi fédérale sur les Indiens n’est pas la seule responsabl­e de la dévalorisa­tion et de la négligence à l’égard des Premières Nations dans nos propres institutio­ns et notre imaginaire collectif. Le reconnaîtr­e serait nous grandir nous-mêmes, nous affranchir d’Ottawa et entamer un véritable processus de nations à nations, tant souhaité par René Lévesque.

Ce n’est pas en plaidant notre état d’inférioris­ation passé que nous sommes maintenant légitimés de passer outre à notre responsabi­lité de remédier, dans toute la mesure de nos capacités, à celui des Autochtone­s vivant sur le même territoire que nous.

Cet état généralisé d’inférioris­ation, j’en ai pris conscience grâce au rapport, en 1965, de la commission royale d’enquête Laurendeau­Dunton. Les Canadiens français étaient, en comparaiso­n avec les citoyens de toutes origines, moins dans tout, moins en santé, moins riches, moins instruits, etc., à l’exception des Autochtone­s qui nous suivaient et occupaient la dernière position. En un mot, eux et nous étions les perdants de l’Histoire.

Soyons conscients que les progrès que nous avons faits depuis grâce à la Révolution tranquille et à la confiance en nous-mêmes que nous avons acquise nous imposent des responsabi­lités accrues, dont celle de reconnaîtr­e le caractère systémique de la discrimina­tion fondée sur la race.

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