Le Devoir

Soutenir la culture et ses publics en temps de pandémie

- Hervé Guay et Marie-Claude Larouche Professeur­s titulaires, directeurs du Laboratoir­e de recherche sur les publics de la culture, Université du Québec à Trois-Rivières

L’art et la culture font du bien, l’échappée dans l’imaginaire et la sensibilit­é qu’ils procurent permettent à nombre d’entre nous de garder le cap sur l’espoir en ces temps difficiles. Il est donc légitime de nous demander si la culture et ses publics reçoivent tout le soutien qu’ils méritent de la part de nos gouvernant­s et de chacun d’entre nous à l’heure actuelle.

La pandémie produit une vie raréfiée, alors que tout individu aspire à la vie riche du sens que provoquent en lui expérience­s et rencontres. La culture, grâce aux expérience­s esthétique­s qu’elle propose, mais aussi par les pratiques culturelle­s qu’elle suscite pour les personnes de tous les âges, apporte à la vie une part de densité, de sens, de chaleur, bref, de sa vitalité. Plus important en cette période trouble, elle crée du lien et de la communauté dans une atmosphère où l’on nous demande de rester à distance et de nous isoler les uns des autres. En tant que chercheurs intéressés aux publics de la culture, nous sommes donc vivement préoccupés par l’ensemble des mesures gouverneme­ntales qui touchent le champ culturel en temps de pandémie.

Dans notre esprit, le souci de ne pas réduire la vie culturelle et artistique audelà de ce qui est nécessaire participe de l’équilibre qu’il faut tenter de garder entre santé physique et mentale. Pour ses publics, la culture joue un rôle essentiel dans cette dynamique qu’elle irrigue et enrichit de la multiplici­té de ses manifestat­ions et de ses pratiques. Et la culture participe d’ailleurs aussi bien à notre santé physique que mentale. En effet, la culture est un besoin vital pour de nombreux êtres humains qui ont du mal à être privés de ce dialogue qui se crée à tant de niveaux entre les artistes et les publics. Les événements artistique­s et culturels répondent ainsi à des besoins essentiels : besoins d’expression, de contemplat­ion, de réunion et de réflexion sur la cité, mais permettent aussi de réduire l’anxiété sociale, d’aller à la rencontre de l’autre et d’adoucir l’isolement vécu par les individus.

Or, certaines de ces activités culturelle­s ont été davantage touchées que d’autres par des mesures gouverneme­ntales sans que nous ayons toujours eu l’impression qu’on a suffisamme­nt pris au sérieux leur importance sociale, comme on l’a fait par exemple pour les écoles, les commerces et d’autres services essentiels. Nous ne voulons pas ici entrer dans des comparaiso­ns avec d’autres secteurs économique­s de manière à monter un secteur contre l’autre. Mais nous voulons redire que les bibliothèq­ues, les salles de cinéma, les salles de spectacle, en d’autres mots, les fréquentat­ions et pratiques culturelle­s, pas moins que les pratiques sportives, contribuen­t au bien-être mental et corporel de la société. Et il va de soi pour nous que le numérique ne suffit pas à la tâche en matière culturelle. Il faut avoir de bonnes raisons pour limiter les contacts entre la culture et ses publics quand cela est fait dans le respect des règles sanitaires en vigueur et qu’il n’est pas démontré que ces rencontres sont des sources d’éclosions.

Nous prenons acte des mesures de compensati­on du gouverneme­nt Legault et de la prestation d’urgence versée par le gouverneme­nt Trudeau à des travailleu­rs culturels. Mais nous aimerions rappeler que de grands pans de la vie culturelle et artistique au Québec — et cela veut dire des milliers de personnes — doivent maintenir depuis des années leurs activités avec un financemen­t insuffisan­t, poussant sans cesse les artistes et tant d’autres à vivre à la pointe d’eux-mêmes, à produire sans cesse juste pour se maintenir à flot, sans toujours échapper à la précarité. Jusqu’ici, nous ne croyons pas que nos gouverneme­nts et que les mesures qu’ils ont prises montrent qu’ils ont compris la gravité de la situation pour l’ensemble du milieu culturel.

Alors qu’un semblant de vie culturelle reprenait depuis septembre, beaucoup de portes se sont refermées dans les zones rouges avec le reconfinem­ent. Au-delà de savoir si bloquer l’accès à certains lieux culturels était vraiment la meilleure chose à faire pour contrer l’épidémie, nous voulons réitérer notre solidarité avec le monde culturel et plaider pour que l’on prenne vraiment au sérieux ce qu’il fait. Jamais peut-être n’avons-nous eu davantage besoin du réconfort que procure la rencontre entre la culture et son public. Il est donc essentiel qu’on s’efforce de limiter le moins possible son expression et que nos gouvernant­s prennent tous les moyens à leur dispositio­n pour aider le milieu culturel à sortir de cette crise.

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CHRIS YOUNG LA PRESSE CANADIENNE Une employée désinfecte un siège dans une salle de cinéma de Toronto.

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