Le Nobel à la poète américaine Louise Glück
La poète américaine Louise Glück a remporté jeudi le très convoité prix Nobel de littérature, un choix pointu et inattendu couronnant son oeuvre « à la beauté austère », entamée à la fin des années 1960. À 77 ans, elle est récompensée « pour sa voix poétique caractéristique, qui, avec sa beauté austère, rend l’existence individuelle universelle », a — poétiquement — annoncé l’Académie suédoise en décernant le prix.
L’enfance et la vie de famille de cette native de New York, la relation étroite entre les parents et les frères et soeurs constituent une thématique centrale de son oeuvre. Louise Glück est « une poète du changement radical et de la renaissance », a salué le président du comité, Anders Olsson. « Elle cherche l’universel, en s’inspirant des mythes et des personnages antiques » comme Didon, Eurydice et Perséphone, « présents dans la plupart de ses oeuvres », a-t-il expliqué.
Même vouée à la confidentialité que réserve notre époque aux vers libres, sa poésie est très accessible. Elle se passe d’appareil critique explicatif, et l’anglais de Louise Glück se lit sans trop de peine pourvu que l’on ait quelques notions de cette langue. Adepte du dépouillement, elle cite pour premières influences de jeunesse des poètes connus pour leur clarté d’expression, William Butler Yeats (prix Nobel 1923) et T.S. Eliot (prix Nobel 1948).
Outre la nature, la grande source d’inspiration est son enfance. « J’étais une enfant solitaire. Mes interactions avec le monde en tant qu’être social étaient peu naturelles, forcées, des représentations, et j’étais la plus heureuse quand je lisais. Bon, ce n’était pas entièrement aussi sublime que ça, je regardais beaucoup la télévision et mangeais beaucoup aussi », raconte-t-elle.
Un prix inattendu
Avare en entrevue, la lauréate a confié à l’agence suédoise TT qu’elle ne s’attendait pas à recevoir le prix. « Je suis une poète lyrique blanche américaine. Peut-être dans un autre siècle, mais pas maintenant », a-t-elle dit.
Enseignante à l’Université de Yale, elle est connue aux États-Unis, où elle a notamment remporté un Pulitzer en 1993 pour son recueil L’iris sauvage et le titre convoité de « US Poet Laureate » en 2004. Mais peu la connaissaient hors de son pays. Averno (2006) est considéré comme le recueil magistral de la poète américaine, une interprétation visionnaire du mythe de la descente aux enfers de Perséphone, captive de Hadès, le dieu de la mort. Une autre réalisation spectaculaire est son dernier recueil, Nuit fidèle et vertueuse (2014).
Cette personnalité discrète ne pleurera pas trop longtemps l’annulation de la cérémonie de remise des prix aux lauréats à Stockholm, prévue le 10 décembre mais annulée pour cause de coronavirus. « L’idée de faire un discours n’est pas ce qui m’enchante le plus […] mais j’aurais fait le voyage », a-telle confié. Elle devient la 12e lauréate américaine en littérature, après notamment Hemingway (1954), Steinbeck (1962), Toni Morrison (1993) et dernièrement Bob Dylan (2016). Si les talents poétiques de Dylan avaient été salués par l’Académie il y a quatre ans, le dernier prix à un poète remontait à 2011, soit le Suédois Tomas Tranströmer.
En français, la traduction de cette poète est restée jusqu’ici pour le moins confidentielle, et se limite à des revues spécialisées. Elle a consacré un de ses poèmes à Jeanne d’Arc en 1976.
Candidats de l’ombre
L’Académie a traditionnellement préféré les candidats de l’ombre qui méritent la reconnaissance aux célébrités déjà établie, et ce, même si de nombreux géants de la littérature mondiale ont bien été primés depuis bientôt 120 ans. Après une série de scandales ou de controverses qui a terni depuis trois ans le plus célèbre prix littéraire au monde, la direction qu’allait prendre le Nobel cette année était jugée imprévisible.
L’an passé, le prix 2019 avait été attribué à l’écrivain autrichien Peter Handke, aux sulfureuses positions pro-Milosevic, provoquant une très vive controverse. Celle-ci s’ajoutait à un scandale sexuel qui avait déchiré l’Académie il y a trois ans, provoquant le report historique du prix 2018.
Cette année, les sites de paris plaçaient la Française Maryse Condé, la Russe Lioudmila Oulitskaïa, la Canadienne Margaret Atwood ou le Japonais Haruki Murakami comme favoris. Si la plupart des grands pays occidentaux ont plusieurs prix à leur actif, l’Asie et l’Afrique sont souvent jugées mal loties. De grands pays comme la Chine (Mo Yan en 2012) et l’Inde (Rabindranath Tagore en 1913) n’ont qu’un seul prix.