À Joliette, le fossé culturel reste à combler
Le gouvernement reconnaît ses « manquements » et promet de répondre aux recommandations du rapport
Un mois après le drame qui a ébranlé tout le Québec, la famille de Joyce Echaquan ne connaît toujours pas la cause de son décès.
L’avocat de la famille, Jean-François Bertrand, soutient qu’« un complément d’enquête a été demandé ». Du côté du bureau du coroner, chargé de l’enquête publique, celui-ci confirme être toujours « en attente des résultats des examens et des analyses ordonnés par le coroner chargé de l’investigation ».
« La famille continue de vivre son deuil avec beaucoup de courage et de force malgré la tristesse qui les accable », souligne Me Bertrand. Avant de déposer une poursuite contre l’hôpital de Joliette — où Joyce Echaquan est morte le 28 septembre sous les insultes
Les Attikameks attendent des réponses du CISSS, qui ne viennent toujours pas
À l’approche du premier anniversaire du dépôt du rapport Viens, fin septembre, le cabinet du premier ministre s’est mis à la tâche d’inventorier les recommandations qui avaient été suivies. « L’alerte rouge » a été déclenchée. Le personnel politique s’est rendu compte, avec stupeur, du retard qu’il avait accumulé sur ce front.
Un mois plus tard, le 28 septembre, Joyce Echaquan diffusait une vidéo en direct sur Facebook, partageant du même coup les insultes racistes qui l’ont accompagnée dans les derniers moments de sa vie.
En quelques minutes, la femme attikamek mettait en lumière les « manquements » de Québec dans le suivi du rapport Viens, conviennent aujourd’hui les proches du premier ministre.
Depuis, les équipes roulent à pleine vitesse. « Je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus. On est vraiment à fond », a lancé mardi le nouveau ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, dans un entretien avec Le Devoir.
D’ici la fin de l’automne — et même dans « les prochains jours » —, il promet de répondre aux « appels à l’action » contenus dans le rapport Viens, rédigé au terme de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics. Jusqu’ici, Québec n’a pu fournir qu’une liste des recommandations pour lesquelles « différentes actions sont déjà prises ou en voie d’être prises », sans fournir davantage de détails.
Ian Lafrenière demande quant à lui à être jugé en fonction des effets des mesures adoptées sous sa gouverne. Dans la liste de 142 appels à l’action, il cherche ceux « qui amènent des changements encourageants », qui sont « les plus visibles ».
L’élu nomme aussi le « principe de Joyce », élaboré par le Conseil des Attikameks de Manawan après la mort de Joyce Echaquan. « On regarde ça, c’est fort intéressant », dit le ministre. Le principe vise à garantir « à tous les Autochtones le droit d’avoir accès sans aucune discrimination à tous les services de santé et de services sociaux ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale ». Il fait l’objet de consultations jusqu’à ce mercredi soir et doit être déposé à l’Assemblée nationale le 9 novembre.
Racisme systémique
Le premier article de ce principe réclame la reconnaissance, par Québec, du « racisme systémique auquel sont confrontés les Autochtones ». Mais Ian Lafrenière n’a pas l’intention de rouvrir ce « débat », qu’il qualifie de « houleux ». « We agree to disagree », affirme-t-il pour résumer ses discussions avec des chefs autochtones à ce sujet.
Signes des répercussions de la mort de Joyce Echaquan, les discussions autour de la notion de « racisme systémique » se sont animées dans l’entourage du premier ministre au cours des dernières semaines. Le sujet a fait l’objet de nouvelles discussions au caucus au début du mois. Il y a été débattu à nouveau, jusqu’à ce qu’enfin le gouvernement revienne au statu quo ante bellum. « Ce n’est pas le temps de se diviser autour d’un concept, c’est le temps d’agir pour lutter contre le racisme », a depuis répété le chef du gouvernement.
Lorsqu’il a annoncé la nomination de Ian Lafrenière pour succéder à Sylvie D’Amours, François Legault a aussi confirmé son intention de s’impliquer personnellement dans les dossiers autochtones. Le nouveau ministre confirme que la rencontre — annuelle ou bisannuelle — avec les chefs et grands chefs autochtones se fera désormais en présence du chef du gouvernement.
Un proche conseiller du premier ministre s’est d’ailleurs attelé, au cours des derniers jours, à lire le rapport Viens de la première à la dernière page — jugeant désormais qu’il valait mieux aller au-delà du résumé préparé par l’administration.
Le rapport du Groupe d’action contre le racisme, dont Ian Lafrenière fait toujours partie, entend aussi publier un volet distinct au sujet des Autochtones. Il n’est plus question, cependant, d’y enchâsser la notion de racisme systémique.
Avancer, malgré la colère
Le vice-chef de Manawan, où vivait Joyce Echaquan avec son mari et ses sept enfants, veut être « optimiste qu’il va y avoir du changement ». « Dans les jours suivant le décès [de Mme Echaquan], les gens étaient en colère et aujourd’hui, il y a encore un sentiment de ça, mais il faut avancer », affirme Sipi Flamand. Il souligne qu’il ne faut toutefois pas « oublier ce qui s’est passé ».
Un sentiment d’ambivalence l’habite. Il est « un peu fâché » qu’il ait fallu une vidéo pour éveiller les consciences sur un sujet largement documenté. « Mais je me dis que Joyce a eu du courage, pour dénoncer de cette manière-là », ajoute-t-il. De la même façon, il constate une volonté, chez Ian Lafrenière, de « travailler avec les communautés et de faire avancer les dossiers ». Le ministre rencontre les leaders attikameks chaque semaine — virtuellement — depuis son arrivée en poste.
Or, « le gouvernement, le premier ministre, n’a pas encore acquis le concept du travail de nation à nation », poursuit M. Flamand. « Dans une nation, la relation devrait être le grand chef et le premier ministre, et ainsi de suite », illustre-t-il.
À Joliette aussi, le maire Alain Beaudry dit avoir « personnellement évolué là-dedans ». Après avoir dit au Devoir ne « pas sentir de racisme » dans sa ville, où vivent environ 900 Attikameks de Manawan selon lui, il s’est amendé. « Je me suis corrigé du mieux que je pouvais. […] Le nier, ce serait dire que je me ferme les yeux et que j’ignore ça, et il ne faut pas ignorer ça. »
Le maire reconnaît que, depuis son arrivée en poste, en 2013, il ne s’est pas vraiment intéressé aux questions autochtones. « On n’en discute pas, malheureusement. C’est là-dessus qu’on va devoir s’ajuster comme conseil municipal », dit-il. Au conseil municipal, Joliette s’est donc engagée le 13 octobre à « prendre acte » du rapport Viens, dont deux appels à l’action s’adressaient, il y a un an, aux municipalités.