Le marché du temps des Fêtes de François Legault
Le premier ministre François Legault se réjouit de voir les Québécois adhérer au « contrat moral » des Fêtes qu’il a présenté il y a près de 10 jours sans en énumérer toutes les clauses. Un « contrat » dont les « nuances » n’ont visiblement pas été comprises, selon le professeur Thierry Giasson. Un « contrat » qui n’a pas été présenté dans les « règles de l’art », selon la spécialiste du stress Sonia Lupien. Retour sur cet exercice de communication gouvernementale.
Jeudi 19 novembre. Des rassemblements de 10 personnes ou moins seront permis durant une période de quatre jours — 24, 25, 26, 27 décembre —, pourvu que les participants se soient isolés avant et après, a-t-il indiqué après avoir convoqué la presse à 17 h plutôt qu’à 13 h afin d’obtenir de « meilleures cotes d’écoute ».
Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a, par sa présence à ses côtés, cautionné l’initiative gouvernementale. « Quand je suis ici, je suis à l’aise avec les décisions qu’on a prises », a averti le sous-ministre adjoint à plus d’une occasion depuis le début de l’état d’urgence sanitaire.
Lors de la présentation du « contrat moral », le premier ministre s’était gardé de préciser des informations clés sur les festivités de Noël au temps de la COVID-19, à commencer par le nombre maximal de rassemblements auxquels un individu pourrait prendre part.
À mi-mandat, M. Legault craignait-il de passer pour le Grincheux qui veut gâcher Noël ?
Le chef du gouvernement a cru bon de simplifier le plus possible la présentation du « contrat moral » des Fêtes, quitte à « renforcer » d’autres « messages » par la suite. « Si tu veux que ça marche, tu ne peux pas “garrocher” un million d’informations [dans un point de presse] », soutient un membre de sa garde rapprochée. Le premier ministre a appris les leçons de l’annonce de la reprise des rassemblements extérieurs d’un maximum de 10 personnes provenant de trois bulles et maintenant une distance de deux mètres entre elles — la règle 10-3-2 — qu’il a faite au printemps dernier, explique-t-on.
Le « contrat moral » a été relativement bien reçu par la population dans les heures suivant son dévoilement.
Les réactions — parfois outrées — aux scénarios de fermeture des classes d’école allant jusqu’à deux semaines, qui ont été évoqués dans les médias dans les jours précédents, ont permis au gouvernement de mettre au point une proposition minimisant les répercussions sur le calendrier scolaire. « Tu ne peux pas ne pas en tenir compte », explique un conseiller politique, tout en répétant que le gouvernement n’a pas lui-même lancé ces « ballons d’essai ».
Vendredi 20 novembre. Les Drs Horacio Arruda et Éric Litvak ont jugé bon d’organiser un breffage technique afin d’expliquer la base scientifique sur laquelle le « contrat moral » rédigé par le gouvernement québécois est fondé. Curieusement, les prises d’images et de son n’étaient pas permises par le ministère de la Santé.
Après avoir « reconn[u] l’importance de s’accorder collectivement une période de festivités pour contrer l’isolement, l’anxiété et la déprime associés à la pandémie », les deux médecins ont souligné l’importance d’« encadrer le déroulement des festivités par des règles claires afin d’éviter une détérioration importante de la situation épidémiologique ». Pourtant, nulle part dans la présentation transmise aux journalistes, le nombre maximal de rassemblements autorisés pendant le temps des Fêtes n’apparaissait.
Au cours des échanges avec les journalistes, le Dr Arruda et le Dr Litvak ont dit dissuader les Québécois de courir les fêtes les 24, 25, 26 et 27 décembre prochain.
Un seul rassemblement durant cette période de quatre jours, « c’est l’idéal », et deux c’est « tant mieux », ont-ils laissé tomber. La mise au jour de cette clause cachée du « contrat moral » a coupé l’élan des Québécois qui comptaient faire le plein de rencontres au terme d’une année bouleversée par le coronavirus.
Le rappel d’une autre clause stipulant que toute personne doit s’isoler une semaine avant et une semaine après un rassemblement a, elle, été mal accueillie par les professionnels de la santé ou encore les commis de magasin incapables de travailler de la maison. Plusieurs d’entre eux ont eu l’impression de s’être fait passer un sapin par le gouvernement. D’autres ne savaient plus sur quel pied danser.
« Force est d’admettre dans ce cas-ci comme dans plusieurs autres cas au préalable, le gouvernement a dû corriger le tir [car il] a mal communiqué ses informations auprès de la population. Il est peut-être trop empressé de donner un message d’espoir à la population, appelons-le comme cela », souligne le chercheur principal du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval, Thierry Giasson. « Les gens ne saisissaient pas les nuances de ce contrat », ajoute-t-il, s’interrogeant sur le travail des conseillers en communications dans l’orbite du gouvernement et de la Santé publique. « J’espère qu’ils n’ont pas tout payé encore parce que ça ne fonctionne pas très bien », lance-t-il.
Cela dit, la réussite du « contrat moral » s’évaluera en grande partie à la lumière des cas de COVID-19 qui s’ajouteront au bilan québécois dans la foulée du temps des Fêtes, convient le politologue de l’Université Laval.
Cette semaine, le premier ministre a montré du doigt la Santé publique pour la confusion des derniers jours, en soutenant qu’elle avait changé d’idée sur le nombre de rassemblements permis pendant la période des Fêtes après l’annonce du jeudi 19 novembre. De l’autre côté du Plexiglas, Horacio Arruda affichait un air d’étonnement. Pour cause, la Santé publique a prôné depuis le début des discussions avec le gouvernement un nombre minimal de rassemblements durant la période des Fêtes, assure au Devoir un des artisans du plan des Fêtes.
Le « stress » apaisé ou renforcé ?
« Chaque fois qu’un message est envoyé à quelqu’un en réponse de stress, il est essentiel d’être extrêmement clair et de bien décrire ce qui est pertinent dans le message, pour s’assurer que tout le monde encode la même information », souligne la directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Sonia Lupien. « C’est peut-être ce qui n’a pas été fait dans les règles de l’art pour l’annonce de Noël. Beaucoup de gens n’ont pas encodé la même chose en ce qui a trait à ce qui était pertinent dans le message de M. Legault », poursuit-elle.
La professeure au Département de psychologie de l’UQAM Marie-France Marin note les efforts pour « simplifier les consignes » visant à freiner la progression de la COVID-19 déployés par le gouvernement québécois. « Les consignes [du temps des Fêtes] sont les
mêmes pour tout le monde, ce qui peut aider au niveau du stress pour la clarté. Il n’en reste pas moins qu’il y a plusieurs exceptions — des travailleurs essentiels, des familles dans diverses régions, etc. — qui ont peut-être l’impression d’être laissées de côté dans l’équation. Cela peut parfois créer du stress, de l’incompréhension et une certaine frustration chez certains individus, d’autant plus que nous sommes plus irritables. [En revanche], d’autres arrivent à trouver un certain apaisement, car ils pourront voir leurs proches », explique la spécialiste du stress.
D’autre part, en annonçant les règles du temps des Fêtes « à l’avance », l’équipe de M. Legault a « diminué l’imprévisibilité » et, par conséquent, a « augmenté le sens de contrôle » des Québécois.
François Legault se garde la possibilité de modifier ou encore de résilier le « contrat moral » si la COVID-19 joue les trouble-fêtes, particulièrement dans les établissements de santé. Le cas échéant, il le fera… « avant Noël ».