Le Devoir

Comment « rouvrir des plaies »

Le refus d’adopter le principe de Joyce est reçu comme un autre coup dur par les Attikameks

- MAGDALINE BOUTROS

Deux mois après le décès de Joyce Echaquan, le refus du gouverneme­nt caquiste d’adopter le principe de Joyce — un appel à l’action visant à garantir à tous les Autochtone­s l’accès sans aucune discrimina­tion à tous les services sociaux et de santé — vient « rouvrir des plaies », déplore Paul-Émile Ottawa, chef du Conseil des Attikameks de Manawan.

Le Parti libéral du Québec a déposé mardi une motion visant l’adoption du principe de Joyce tout en y accolant une reconnaiss­ance du racisme systémique au Québec, ce que nie le gouverneme­nt caquiste.

« Les gens le prennent dur. Surtout le conjoint de Joyce, Carol Dubé, qui ne comprend pas la décision du gouverneme­nt de ne pas vouloir l’adopter », laisse tomber Paul-Émile Ottawa.

Devant la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale, vendredi matin, Ian Lafrenière, ministre responsabl­e des Affaires autochtone­s, a déclaré que le gouverneme­nt est « d’accord avec le principe de Joyce ». « Le mot qui nous divise, c’est le racisme systémique. Je comprends que les gens puissent être déçus [par le rejet de la motion par le gouverneme­nt caquiste], mais ils ne peuvent pas être surpris. »

Le ministre a par ailleurs réitéré sa déterminat­ion à combattre le racisme, tout en précisant que le refus du gouverneme­nt de reconnaîtr­e le racisme

Je ne sais plus s’il faut continuer de parler à ce gouverneme­nt. Ils ne nous écoutent pas. PAUL-ÉMILE OTTAWA

systémique ne l’a jamais empêché de travailler avec une nation ou un chef autochtone. Mais pour le chef de Manawan, il est clair que ce refus laisse transparaî­tre un manque de « volonté politique » pour changer véritablem­ent les choses. « Je ne sais plus s’il faut continuer de parler à ce gouverneme­nt. Ils ne nous écoutent pas », tonne-t-il.

D’autant que ce refus s’ajoute à la décision de maintenir en poste le p.-d.g. du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, en dépit du fait que celuici a affirmé qu’il n’était pas au courant des enjeux de discrimina­tion et de racisme à l’hôpital de Joliette avant la mort de Joyce Echaquan. Une réalité qui avait pourtant été largement documentée devant la commission Viens.

À la suite des déclaratio­ns de Daniel Castonguay il y a un mois, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, avait déclaré que le lien de confiance était « complèteme­nt brisé » entre le CISSS de Lanaudière et la communauté attikamek, ajoutant que Daniel Castonguay n’était probableme­nt plus la meilleure personne pour diriger le CISSS. Celui-ci — qui gère également de front la pandémie dans la région de Lanaudière — est toutefois toujours en poste.

Dans une réponse écrite envoyée au Devoir, l’attachée de presse du ministre Dubé a déclaré qu’elle n’avait pas « de nouvelle informatio­n à communique­r sur le dossier ».

« Non seulement le gouverneme­nt nie l’existence du racisme systémique, mais en plus il s’obstine à maintenir des gestionnai­res qui refusent de corriger ces situations à l’intérieur de leur établissem­ent. C’est grave », a insisté Paul-Émile Ottawa au Devoir.

Jennifer Brazeau, directrice du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL), remet également en question la décision du ministre Dubé de maintenir le p.-d.g. en poste. « S’il n’était pas au courant [du racisme à l’hôpital de Joliette], ça veut dire qu’il n’a pas fait sa job. On n’est même pas assez sur son radar [les Autochtone­s] pour qu’il pose des questions ? C’est inquiétant. »

L’été dernier, soit avant le décès de Joyce Echaquan, Jennifer Brazeau a pourtant elle-même rencontré le p.-d.g. adjoint du CISSS, Éric Salois, pour discuter avec lui des recommanda­tions de la commission Viens. « Je lui ai clairement communiqué mes inquiétude­s pour les services aux Autochtone­s dans la région. Je lui ai rappelé que l’hôpital de Joliette a été cité comme un exemple négatif. Et je lui ai rappelé que puisqu’on est le seul fournisseu­r de services pour les Autochtone­s dans la région, on est le partenaire pour travailler avec le CISSS à la mise en place des appels à l’action lancés par la commission Viens. »

Aucun suivi n’a toutefois été effectué par le CISSS jusqu’à tout récemment, déplore-t-elle. Jennifer Brazeau se réjouit tout de même du vent de changement qui semble désormais souffler au CISSS. La clinique de proximité qui a ouvert ses portes il y a un mois au Centre d’amitié bénéficier­a finalement d’un soutien de la part du CISSS. Une infirmière y sera dépêchée deux demi-journées par semaine et de l’équipement médical sera fourni. Jusqu’à tout dernièreme­nt, les demandes du CAAL pour la clinique de proximité étaient restées lettre morte.

Jennifer Brazeau dit également avoir eu la confirmati­on que le CAAL sera consulté pour la mise sur pied du plan d’action du CISSS visant à rétablir les ponts avec la communauté attikamek… et que le p.-d.g. a lu dans les dernières semaines le rapport de la commission Viens.

Les enquêtes se poursuiven­t

Parallèlem­ent, les enquêtes visant à faire la lumière sur les circonstan­ces entourant le décès de Joyce Echaquan et sur les propos racistes et discrimina­toires entendus dans la vidéo que la mère de sept enfants a tournée alors qu’elle était à l’urgence de l’hôpital de Joliette se poursuiven­t.

Non seulement le gouverneme­nt nie l’existence du racisme systémique, mais en plus il s’obstine à maintenir des gestionnai­res qui refusent de corriger ces situations à l’intérieur de leur établissem­ent. C’est grave. PAUL-ÉMILE OTTAWA

Deux mois après la mort de Joyce Echaquan, la famille de la défunte ne connaît toujours pas la cause de son décès, a fait savoir une source proche de la famille. Au bureau du coroner, Dominique D’Anjou, responsabl­e des communicat­ions, mentionne que « nous sommes très sensibles au besoin légitime de la famille d’être au courant des résultats des analyses ». Ceux-ci seront communiqué­s à la famille dès qu’ils seront disponible­s, assure-t-elle.

Par ailleurs, le permis de l’infirmière qui a lancé des injures racistes à Joyce Echaquan tout juste avant sa mort n’a toujours pas été suspendu ou révoqué. L’enquête du bureau du syndic se poursuit en vue « de déposer une plainte devant le Conseil de discipline de l’Ordre, qui déterminer­a la sanction appropriée », indique l’Ordre des infirmière­s et des infirmiers du Québec (OIIQ).

L’enquête interne du CISSS de Lanaudière n’a pas non plus abouti jusqu’à maintenant, tout comme celle de la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé (FIQ) visant à déterminer si l’organisati­on syndicale défendra ou non l’infirmière ayant été congédiée.

Une préposée aux bénéficiai­res a aussi été renvoyée dans la foulée du drame qui a éveillé le Québec à la discrimina­tion et au racisme dont sont victimes les Premières Nations et les Inuits dans le système de santé.

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