Il était une fois Noël, du Grand Canyon au Burkina Faso
À l’approche du mois du temps des Fêtes, qui cette année ne sera pas comme les autres, les collaborateurs du cahier Plaisirs vous offrent en cadeau leurs souvenirs de Noël célébré d’un bout à l’autre de la planète, question de voyager par procuration. Comme la mousse avait neigé, au Mexique
Je me rappelle un souper de Noël passé chez des fermiers polonais il y a une éternité. Le père de famille avait placé une botte de foin sous la table, qui allait y rester tout le temps des Fêtes pour marquer sa gratitude à la terre. Je me souviens d’une forêt de sapins féeriques au coeur de Tokyo ; d’un père Noël faisant du ski nautique au large de Sint-Maarten ; de petits lutins du folklore islandais accrochés à la porte de ma chambre d’hôtel, à Reykjavik. Mais au rayon de la fiesta, le Mexique demeure à mon avis imbattable.
Il y a trois ans, je passais les Fêtes à Isla Holbox (on prononce « holboche »). Ancrée au large de la péninsule du Yucatán, cette petite île présente plusieurs avantages : elle ne compte qu’un seul pueblo aux rues ensablées et piétonnières ; elle est surtout fréquentée par des Mexicains ; et sa playa est parfaite.
Toujours est-il que nous nous étions installés à l’auberge La Casa del Viento. Les poinsettias qui rougissaient au jardin le décoraient, tout naturellement. Le soir du 31 décembre, après avoir dîné avec d’autres clients du gîte, nous nous étions retrouvés à la place du village. Un orchestre jouait, nous avions dansé sous les étoiles, bu des cervezas et puis, sur l’estrade, l’animateur avait fait le décompte d’usage : 10, 9, 8… Et sur le coup du « bonne année ! », au lieu de confettis, on avait eu droit à des rafales de crème à raser, propulsée sur la piste de danse par des canons ! Ah, comme la mousse avait neigé… Une tradition mexicaine ? Rien n’est moins sûr, mais l’esprit festif mexicano, lui, s’était pleinement exprimé.
Carolyne Parent
Les sapins d’Ouagadougou
C’était la première fois que je partais aussi longtemps. J’étais à Ouagadougou depuis trois mois, afin d’apprendre les rudiments du vidéoreportage. C’était à l’époque de l’Internet plusque-basse vitesse, avec le son si distinctif du modem, preuve bien audible du lien qui s’établissait entre soi et le reste du monde.
Bien que déstabilisée par plusieurs aspects de ce premier séjour sur le continent africain, mon orgueil m’empêchait de vivre pleinement mes chocs culturels. Et puis, je n’étais tout de même pas la première Blanche qui se sentait déstabilisée en se retrouvant soudainement du côté des minorités visibles. Pourquoi en faire tout un plat ?
Entre trois gaffes de tournage — non, on ne filme pas une foule, même de loin, sous peine de se faire huer sans retenue ; non, on ne braque pas sa caméra, même par inadvertance, vers un bâtiment militaire, à moins d’avoir envie de voir une Kalachnikov de très près ; non, les dames du marché n’accepteront pas de se faire tirer le portrait à moins de voir la couleur de quelques francs CFA… —, je me suis mise à collectionner les images frappantes.
Il y avait ce panneau arborant la phrase « Interdit d’uriner » peinte à la main. Les mobylettes surchargées, qui servaient à transporter tout et n’importe quoi, y compris des meubles et des animaux. Les restaurants spécialisés en « poulet bicyclette » (si ferme qu’on aurait dit qu’il pédalait beaucoup) ou en « poulet télévisé » (cuit dans une rôtissoire vitrée).
Puis, il y a ce jour de décembre où j’ai vu pour la première fois une rangée de sapins de Noël prédécorés vendus le long des routes, à travers les étals de viande et de légumes. Quelques semaines avant le passage à l’an 2000, cette image surréaliste m’a rappelé que l’Occident était beaucoup plus près que je le croyais. Même sans bruit de modem pour le confirmer.
Marie-Julie Gagnon
Un Noël provençal… et épicurien
En 2017, j’ai fait l’inverse de ce que font les Français qui débarquent à Montréal avec un permis vacancestravail (PVT) : j’ai passé huit mois dans l’Hexagone. Lasse de la grisaille de Paris, où j’avais défait mes valises, j’ai donc tout de suite accepté l’invitation de mon amie Charlotte, dont les parents avaient loué une maison à Aix-en-Provence pour Noël.
Au royaume de la lavande, le mercure de décembre donnait l’impression d’un éternel printemps. Si les cigales deviennent silencieuses durant la saison « froide », les arbustes conservent quant à eux leur verdure et il fait encore clair à l’heure où commence officiellement l’apéro.
Ici, on s’emplit la panse dès midi jusqu’aux petites heures du lendemain matin. Attablée au milieu d’une vingtaine de joyeux lurons, je me suis donné pour mission de goûter à tout. J’ai donc veillé scrupuleusement à ne jamais trop remplir mon assiette, afin de pouvoir être en mesure de poursuivre le marathon gastronomique aussi longtemps que possible.
Au menu, une quantité innombrable de plats : huîtres, saumon fumé, foie gras, fromages, charcuteries, girolles, artichauts à la barigoule, chapon (un coq castré !)… J’ai tenu bon, déterminée à me rendre au bout de cette aventure épicurienne.
« Je suis loin, je suis bien et je bois du p*tain de bon vin », me suisje dit en avalant une gorgée de mon verre qui ne cessait de se faire remplir. Vin rouge, vin blanc, vin rosé, champagne… Ce réveillon fut comme un bar ouvert qui invite à la volupté.
Le mistral qui a soufflé le lendemain a ramené une ambiance hivernale à ces Fêtes provençales. On dit que ce vent donne des migraines. Je peux jurer que c’est vrai !
Leila Jolin-Dahel
Bulles et bonheur dans le Grand Canyon
Quelques jours avant Noël, années 2000 et des poussières, dans le parc national du Grand Canyon, en Arizona.
Tant qu’on n’a pas vu de près cette extravagance de la nature, on ne sait rien d’elle. De sa créativité, de son insolence, des frasques dont elle est capable. J’ai peu de millage, question expédition d’une semaine en autonomie. Mais l’expérience de mon
chum compense. Nos sacs à dos sont soigneusement pesés, et leur contenu soumis à un contrôle maniaque. N’y entre que le strict indispensable, mais avec deux-trois grammes de petits plus ; c’est Noël, après tout.
En cette nuit du 24 décembre, nous plantons la tente du côté de Cotton Woods. Un peu plus tôt, nous avons rencontré le tout premier humain, après plusieurs jours de marche passés à contempler les arches, à lire les anfractuosités des crêtes et à imaginer des nécropoles, là où le Colorado s’est obstiné à ciseler les strates géologiques. Nos compagnons ordinaires sont les pygargues et les condors qui planent dans un dégradé d’ocres et de gris.
La nuit est tombée, ce délice de fruits de mer en poudre, nous l’avons gardé pour cette veille de Noël. À peine est-elle réhydratée sous l’eau chaude que la chaudrée exhale ses notes acidulées. Le pop ! d’une demibouteille de mousseux qu’on fait sauter finit de créer l’ambiance. C’est bombance sous le ciel étoilé. Notre brownie triple chocolat cuit à la poêle a de faux airs de forêt-noire façon grands jours. Un ringtail cat a bien failli s’en emparer en glissant sa patte avide dans l’interstice de la moustiquaire. Nous avons remporté la partie ; ce brownie-là a le goût sucré du bonheur.
Nathalie Schneider
Un soir de Noël à Taïwan
Je m’étais préparée à bien des choses en partant enseigner à Taïwan. Je savais que communiquer serait difficile, que je n’arriverais pas à lire les panneaux, que je détonnerais dans la foule avec ma crinière pâle… Mais jamais il ne m’avait traversé l’esprit que le jour de Noël pourrait ne pas être férié quelque part sur la planète.
Pourtant, cela allait de soi : les Taïwanais sont majoritairement bouddhistes et taoïstes, ils suivent le calendrier lunaire — mes pots de yogourt allaient expirer… en 4691 ! — et n’ont que faire des histoires du petit Jésus. J’avais saisi la place que prenaient les superstitions dans la vie quotidienne quand une collègue m’avait affirmé sans sourciller qu’il fallait absolument abaisser le couvercle de la toilette avant d’actionner la chasse sous peine de voir son argent disparaître. J’avais goûté à une infinité de saveurs dont je ne soupçonnais même pas l’existence avant de fouler l’île de Formose. J’avais aussi compris l’importance de la géographie dans la hiérarchie des drames un certain 11 septembre en feuilletant les journaux locaux. Comment, à la lumière des cinq mois précédents, avais-je pu tenir pour acquis que j’aurais des vacances à Noël ?
J’habitais alors dans un dortoir aux airs d’auberge espagnole, avec des professeurs originaires du Québec, de l’Ontario, de la Saskatchewan, de la Roumanie et de l’Irlande. Pas de congé ? Ce n’est pas une raison pour ne pas célébrer !
C’est ainsi que, le 24 décembre, mes deux colocs québécoises et moi nous sommes offert une grosse bouffée de nostalgie en concoctant une poutine digne d’une fin de soirée bien arrosée à Sherbrooke, Drummondville ou Saint-Félicien. Grâce à la sauce en sachet apportée par un ami de passage, aux frites dénichées dans un restaurant du quartier et au cheddar coupé en cubes, nous avons dégusté une gargantuesque poutine en nous remémorant des anecdotes de nos Noëls enneigés. Sans « squicksquick », mais avec des baguettes.
Marie-Julie Gagnon
« Nos sacs à dos sont soigneusement pesés, et leur contenu soumis à un contrôle maniaque. N’y entre que le strict indispensable, mais avec deux-trois grammes de petits plus ; c’est Noël, après tout. »