Le Devoir

Une DPJ nationale réclamée par la commission Laurent

- COMMISSION LAURENT JEAN-FRANÇOIS NADEAU

À l’heure où de nouveaux cas de maltraitan­ce ne cessent de faire les manchettes et où les taux de signalemen­t continuent de gonfler, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse réclame la création immédiate d’une Direction nationale de la protection de la jeunesse afin de s’assurer de mobiliser les efforts pour enfin mettre en place des solutions.

En entrevue au Devoir, la présidente de la commission, Régine Laurent, dit souhaiter la création de cette fonction rapidement, bien avant en tout cas le dépôt final de ses recommanda­tions en avril. « On veut avoir quelqu’un qui va recevoir le rapport, en tout respect pour le ministre », afin que les recommanda­tions ne tombent pas dans le vide.

Selon André Lebon, vice-président de la commission, « plus personne n’est responsabl­e dans ce système ». Les DPJ, dit-il, « sont isolées » et n’ont plus les moyens de faire leur travail convenable­ment. Elles en sont au point « où elles devraient se signaler elles-mêmes », dit-il.

« Les DPJ n’ont pas les effectifs pour faire leur job », poursuit André Lebon en entrevue. Ce n’est pas seulement dans la région de Granby que des drames éclatent, mais absolument partout, rappelle-t-il.

« On a posé des constats », continue Régine Laurent. « Pour nous, une direction nationale de la DPJ est un antidote à l’isolement des DPJ », un moyen par lequel on va pouvoir prendre la situation dans son ensemble, plutôt qu’à la pièce. « Au Québec, ditelle, on a des experts et des programmes, mais il faut faire en sorte que tout cela fonctionne ensemble. »

« Comment se fait-il qu’on ait 30 % de taux de signalemen­ts dans une région et 70 % dans l’autre ? », questionne Régine Laurent pour illustrer les disparités dont souffre le système actuel, faute à son sens d’une coordinati­on et d’une uniformisa­tion des pratiques.

D’ici au dépôt final du rapport de la commission, c’est-à-dire le 30 avril prochain, Régine Laurent estime que le gouverneme­nt a bien le temps de mettre en place quelqu’un qui sera responsabl­e d’appliquer ses recommanda­tions. « D’autant plus qu’on a donné une descriptio­n de l’emploi. On essaye d’être clair sur ce qu’il faut pour parvenir à changer les choses. »

Une réforme ratée

La commission Laurent affirme que le signalemen­t à la DPJ doit cesser « d’être la porte d’entrée aux services à la jeunesse ». Seuls les enfants qui en ont besoin devraient se retrouver de ce côté. Or pour l’instant, les DPJ sont devenues en quelque sorte des guichets uniques, ce qui explique en partie qu’elles soient débordées.

Depuis 2015, à la suite des réformes de la santé placées sous l’autorité du ministre Gaétan Barrette, la structure de soins offerts aux enfants a été très fragilisée, constate la Commission.

« Les modèles de gestion déployés dans les CISSS-CIUSSS se sont mal adaptés à la réalité des services à la jeunesse », indique le rapport intérimair­e déposé par la Commission lundi. « La Direction de la protection de la jeunesse s’est retrouvée isolée, noyée sous une cascade de décideurs. Privé de soutien, les responsabi­lités, l’imputabili­té et le rôle social du [Directeur de la protection de la jeunesse] se sont fragilisés. Notons également qu’il n’existe plus d’instance responsabl­e et imputable du déploiemen­t des bonnes pratiques. »

Des changement­s législatif­s s’imposent sans tarder, affirment les membres de la commission Laurent, pour corriger cette situation.

Une nouvelle vision de la protection de la jeunesse au Québec doit passer par la révision du « modèle de gestion », ce qui doit conduire à plus de « leadership » et d’« imputabili­té ». D’où la nécessité, martèle Régine Laurent, de créer un poste de directeur national de la protection de la jeunesse, à peu près l’équivalent d’un sous-ministre.

L’urgence de la prévention

Le financemen­t des services à l’enfance n’a jamais été à la hauteur des besoins. Il s’avère désormais que les coûts sociaux engendrés par cette situation deviennent de plus en plus

La société dans son ensemble — et non seulement la protection de la jeunesse — doit construire

un cercle de bienveilla­nce autour de l’enfant

EXTRAIT DU RAPPORT INTÉRIMAIR­E

lourds. « Investir pour réduire les coûts sociaux et économique­s de la maltraitan­ce constitue une évidence et ne peut plus être reporté. Investir en prévention afin de diminuer les coûts reliés à l’offre de service spécialisé et surspécial­isé devient incontourn­able. »

Depuis quarante ans, soit depuis la mise en vigueur de la première loi sur la protection de la jeunesse, le travail en vase clos et le manque d’enracineme­nt des services de proximité pour les enfants sont aussi en cause pour expliquer une augmentati­on constante des signalemen­ts. Qui faut-il montrer du doigt ? Au moins « les règles de confidenti­alité ou leur interpréta­tion » qui régissent les interventi­ons. Elles apparaisse­nt souvent telles « un frein à la collaborat­ion et, en ce sens, contraire à l’intérêt de l’enfant ».

La commission Laurent considère de surcroît qu’au-delà de ce paravent de la confidenti­alité, les « droits ne sont pas toujours respectés » lorsqu’il est question des enfants. Ceux-ci sont dans les faits peu écoutés au sein de la mécanique des services sociaux.

Les DPJ n’ont pas les effectifs pour faire leur job

ANDRÉ LEBON

Un problème social

Si la Direction de la protection de la jeunesse est volontiers montrée du doigt, la commission Laurent estime que ce n’est pas seulement de ce côté qu’il faut regarder pour trouver des solutions à un problème social majeur. « La société dans son ensemble — et non seulement la protection de la jeunesse — doit construire un cercle de bienveilla­nce autour de l’enfant. » Les membres de la Commission réaffirmen­t le droit des enfants à vivre « au sein d’une famille bienveilla­nte qui lui permet de grandir et de se développer sainement ».

Cependant, qu’en est-il des familles québécoise­s ? « Les familles sont en détresse, car elles n’ont pas accès aux services qui permettrai­ent d’éviter que la situation se détériore. » Les parents ne savent pas où donner de la tête pour obtenir de l’aide. Les services, quand ils sont accessible­s, ne le sont pas rapidement.

Les commissair­es rappellent aussi, dans leur document intérimair­e rendu public lundi, la surreprése­ntation des Autochtone­s dans ce système de prise en charge public. « Le message est unanime ainsi que le décret instituant la Commission, il faut prendre levier sur les enquêtes, rapports ou pistes de solutions déjà accessible­s. » Régine Laurent a répété à plusieurs reprises, au cours des travaux de la commission, que les recommanda­tions de la commission Viens devaient être appliquées sans tarder.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR « Pour nous, une direction nationale de la DPJ est un antidote à l’isolement des DPJ », estime la présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Régine Laurent.

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