Le Devoir

Macron, des violences policières à la crise politique

- FRANCE CHRISTIAN RIOUX CORRESPOND­ANT À PARIS

Branle-bas de combat à l’Élysée. Lundi, le président, Emmanuel Macron, a réuni de toute urgence son premier ministre, Jean Castex, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ainsi que les chefs des groupes parlementa­ires. L’objectif était de désamorcer de toute urgence la crise politique provoquée par la diffusion quelques jours plus tôt d’images montrant quatre policiers tabassant un producteur de musique. Ces images ont d’autant plus semé l’émoi que le Parlement était en plein débat sur une loi dite de « sécurité globale », dont l’article 24 visait justement à sanctionne­r la diffusion d’images vidéo destinées à nuire aux policiers.

Après que 130 000 personnes eurent manifesté samedi contre la loi et les violences policières, Emmanuel Macron a finalement choisi de « réécrire » cet article. Une « réécriture » annoncée sans plus de détails, mais qui sonne comme l’abandon d’un texte controvers­é pourtant déjà adopté en première lecture et qui prend l’allure d’une rebuffade pour Gérald Darmanin, qui avait fait de cet article un combat personnel.

Les observateu­rs estiment comme l’écrit Le Figaro que le torchon brûle entre le président et le ministre de l’Intérieur, cinq mois seulement après la nomination de ce dernier. « La situation dans laquelle vous m’avez mis aurait pu être évitée », aurait déclaré Emmanuel Macron à son ministre sur le ton de la colère froide lors de la réunion à huis clos tenue lundi à l’Élysée.

La spirale de la crise

Depuis un peu plus d’une semaine, les événements se sont précipités. Le lundi 23 novembre, un campement de migrants clandestin­s installé en quelques heures place de la République à Paris afin d’attirer l’attention des médias a été démantelé manu militari sur l’ordre du ministre. Alors que celui-ci a assumé l’évacuation musclée, sans mise à l’abri des migrants comme cela se fait d’habitude, les images des illégaux vidés de leur tente ainsi que d’un croche-pied fait à un migrant par un commissair­e de police se sont mises à tourner en boucle sur les chaînes d’informatio­n continue.

En plein débat sur l’article 24, quelques jours plus tard, les Français découvraie­nt avec stupeur les images de quatre policiers passant à tabac Michel Zecler. Ce producteur noir, roué de coups, aurait été interpellé parce qu’il ne portait pas de masque et qu’il exhalait une odeur de cannabis, interdit en France. Refusant de s’identifier, il aurait tenté de se réfugier dans l’entrée de son studio d’enregistre­ment. Le

Gérald Darmanin va devenir très vite un problème pour »

Emmanuel Macron BRUNO RETAILLEAU

producteur dit avoir été l’objet de propos racistes, ce que nient les policiers.

Devant ces images qui ont soulevé l’émoi partout en France, Emmanuel Macron n’a pas tardé à exprimer sa « honte ». Aussitôt mis en examen, les policiers ont invoqué un état de « panique » et reconnu avoir porté des coups qui « n’étaient pas justifiés ».

À l’origine de cette crise, on trouve un simple article de la loi dite de « sécurité globale » visant à empêcher la diffusion sur Internet d’images destinées à harceler des policiers. L’article 24 prévoyait de pénaliser la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identifica­tion » d’un policier ou d’un gendarme en interventi­on, lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Depuis plusieurs années, les policiers français sont en effet victimes de harcèlemen­t et d’intimidati­on, notamment sur Internet. Plusieurs ont dû déménager après que leur identité et leur adresse eurent été rendues publiques. Des femmes de policiers disent subir elles aussi ce harcèlemen­t et se trouver dans l’obligation de demander à leurs enfants de cacher le métier de leurs parents. En France, chaque année, on compte 15 000 policiers et gendarmes blessés, 20 à 25 morts en service et environ 50 suicides. Ces chiffres sont en hausse. Samedi, lors des manifestat­ions, 98 policiers ont d’ailleurs été blessés.

Un article liberticid­e ?

L’article 24 a soulevé l’opposition des ONG et des médias. Même si le ministre affirme que cet article ne visait que la diffusion malveillan­te, les opposants dénoncent une atteinte à la liberté d’expression et au droit des journalist­es de filmer les policiers en action. Les Français sont divisés sur le sujet : un sur deux juge l’article néfaste pour le droit à l’informatio­n, mais six sur dix le jugent positif pour la sécurité des forces de l’ordre.

Alors que Gérald Darmanin est un ministre nettement marqué à droite, cette crise qui intervient à 18 mois de l’élection présidenti­elle pose la question du positionne­ment de l’actuel gouverneme­nt. Élu au centre gauche en décimant les rangs du Parti socialiste, Emmanuel Macron a conscience de ne pouvoir être réélu que s’il continue à neutralise­r son opposition de droite. Ce qui explique en bonne partie la nomination de l’actuel ministre de l’Intérieur.

Lundi, comble de l’humiliatio­n, c’est son prédécesse­ur, Christophe Castaner, jugé plus laxiste et peu aimé des policiers, qui a annoncé la « réécriture » de l’article 24. « Gérald Darmanin va devenir très vite un problème pour Emmanuel Macron », a déclaré le sénateur de droite (LR) Bruno Retailleau. Certains n’hésitent pas à se demander si le président ne devra pas se départir d’un ministre qui avait justement pour mission de répondre à la demande de sécurité exprimée par les Français.

En fin de journée, devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Gérald Darmanin a dénoncé les « actes inqualifia­bles » commis par certains policiers. Mais il a affirmé qu’il ne serait « pas de ceux qui flattent les policiers quand ça les arrange et qui les lâchent quand ça ne les arrange plus ».

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ALAIN JOCARD AGENCE FRANCE-PRESSE Emmanuel Macron s’est impliqué la semaine dernière, en disant que les images de violence contre le producteur de musique Michel Zecler faisaient « honte » à la France.

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