Le Devoir

La vente d’Element AI à une firme américaine suscite la grogne

- ULYSSE BERGERON

La vente à une entreprise californie­nne de la jeune pousse montréalai­se d’intelligen­ce artificiel­le Element AI, cofondée par le chercheur Yoshua Bengio, suscite la grogne dans l’industrie québécoise des technologi­es. Des employés auraient déjà été mis à pied à Montréal, selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir.

« Nous nous engageons à assurer une transition en douceur pour les employés licenciés. Nous ne divulguons pas le nombre d’employés qui sont remerciés », a indiqué au Devoir la porteparol­e de ServiceNow, Sara Day.

Le développeu­r de logiciels californie­n ServiceNow a annoncé lundi qu’il mettait la main sur ce fleuron québécois de l’intelligen­ce artificiel­le. La transactio­n sera officialis­ée au début de la prochaine année. Le chercheur Yoshua Bengio agira à titre de conseiller technique pour ServiceNow.

L’acquisitio­n permettra à l’entreprise de créer un nouveau carrefour de l’intelligen­ce artificiel­le au Canada. De là, soutient-elle, elle compte accélérer le développem­ent d’innovation­s « axées sur le client » destinées à sa plateforme Now, une plateforme qui s’appuie sur l’intelligen­ce artificiel­le pour assurer la gestion du flux de travail numérique.

Element AI développe depuis sa création en 2016 des solutions pour éliminer des tâches répétitive­s grâce à des systèmes informatiq­ues capables de s’améliorer eux-mêmes. Ses technologi­es sont entre autres destinées aux secteurs de la cybersécur­ité, de l’assurance, de la finance ainsi que de la logistique.

Le montant de la transactio­n n’a pas été dévoilé. Le site d’informatio­n TechCrunch cite des sources qui estiment la valeur de celle-ci à près de 500 millions de dollars américains. Lors de sa dernière ronde de financemen­t, en septembre 2019, la valorisati­on de l’entreprise montréalai­se gravitait plutôt entre 600 et 700 millions de dollars.

Element AI a notamment bénéficié du soutien du gouverneme­nt québécois ainsi que de celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a injecté des dizaines de millions de dollars dans son développem­ent.

« Une triste nouvelle »

C’est d’ailleurs ce qui fait réagir dans l’industrie. Le Devoir s’est entretenu avec des acteurs du secteur, dont des dirigeants de jeunes pousses de Montréal et des représenta­nts sectoriels. Aucun n’a voulu commenter publiqueme­nt la transactio­n.

Or, ils estiment tous que cette vente représente l’échec du gouverneme­nt dans le financemen­t de l’intelligen­ce artificiel­le. « Les millions qui ont été investis vont finalement bénéficier à une entreprise étrangère et les sommes n’auront pas aidé d’autres entreprise­s en intelligen­ce artificiel­le », résume l’un d’eux.

Le p.-d.g. de Numana (ancienneme­nt TechnoMont­réal), François Borrelli, concède que la question du financemen­t public est délicate dans le secteur : « Est-ce qu’investir directemen­t dans plus d’entreprise­s en intelligen­ce artificiel­le aurait été davantage bénéfique ? La question se pose. » L’acquisitio­n est « une triste nouvelle », poursuit-il. « Element AI était perçue comme une entreprise autour de laquelle un écosystème aurait pu se développer. Il y a quelque chose de symbolique avec cette acquisitio­n. »

« On souhaite maintenant qu’il n’y ait pas d’exode des talents, et il y a aussi la question de pertes de propriétés intellectu­elles qui accompagne ce type de transactio­n », ajoute-t-il.

L’acquisitio­n a aussi trouvé écho dans la sphère politique. La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, estime qu’avec cette vente, « tout le monde perd : les start-ups qui n’ont pas été financées et nous, parce qu’on a investi de l’argent qui part à l’étranger ». Elle avance que le rôle du gouverneme­nt, « c’est d’encourager le secteur sans mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

Même son de cloche de la part du critique en matière de justice fiscale de Québec solidaire, Vincent Marissal : « Est-ce que la Caisse de dépôt et placement a pris des moyens pour garder l’entreprise ici ? Sinon, on sombre dans le syndrome de la start-up : deux gars qui inventent une applicatio­n et qui la vendent quatre ans plus tard pour plusieurs millions de dollars à un géant américain. »

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