Le Devoir

La fenêtre

- MICHEL DAVID

Tous les stratèges politiques sont à l’affût de cette « fenêtre d’opportunit­é », quand tous les astres semblent alignés pour permettre un résultat optimal. Si par malheur on la laisse se refermer, impossible de savoir si et quand elle se rouvrira. C’est ce qu’avait fait Lucien Bouchard après la crise du verglas de janvier 1998. S’il avait déclenché des élections à ce moment-là, les libéraux de Daniel Johnson auraient été mis en déroute et, qui sait, le PQ aurait peutêtre été en mesure de tenir un troisième référendum. Pour des raisons qui demeurent difficiles à comprendre, il a préféré attendre. M. Johnson en a profité pour démissionn­er. Sous la direction de Jean Charest et malgré une campagne atroce, le PLQ a obtenu plus de votes que le PQ à l’élection du 30 novembre, coupant court à toute possibilit­é de référendum.

Justin Trudeau doit se demander si lui n’aurait pas dû battre le fer quand il était chaud. Déclencher une élection en pleine deuxième vague lui aurait valu à coup sûr d’être accusé d’opportunis­me, mais il aurait pu faire valoir qu’un gouverneme­nt pourrait mieux aider le pays à traverser la pandémie en ayant « les deux mains sur le volant ». La recette a déjà fait ses preuves. Dans les provinces où des élections ont été tenues au cours des derniers mois, les gouverneme­nts ont tous été réélus. Au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britanniqu­e, les gouverneme­nts minoritair­es de Blaine Higgs et de John Horgan en ont même profité pour s’assurer une majorité parlementa­ire.

Le sondage Abacus Data réalisé entre le 16 et le 24 novembre accorde 36 % des intentions de vote au Parti libéral du Canada, 30 % au Parti conservate­ur et 16 % au NPD, ce qui suffirait à redonner une majorité aux libéraux. Rien n’assure toutefois que cette avance se maintiendr­a quand le pays sera en voie de sortir du tunnel. Elle a déjà été réduite de 2 points par rapport au sondage effectué par la même maison deux semaines plus tôt. En juin, elle était de 11 points.

Depuis le début de la pandémie, les Canadiens sont généraleme­nt satisfaits de la gestion du gouverneme­nt Trudeau. Et 44 % estiment que les libéraux sont plus qualifiés que les conservate­urs (27 %) pour atténuer les effets de la COVID-19. Dans l’immédiat, les dépenses supplément­aires annoncées lundi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, sont de nature à les conforter dans cette opinion.

En revanche, 41 % croient que les conservate­urs sont plus aptes à relancer l’économie que les libéraux (32 %). Au fur et à mesure qu’un vaccin sera disponible, la reprise économique occupera une place grandissan­te dans l’esprit des électeurs, et l’énoncé de Mme Freeland n’avait rien d’éclairant à ce chapitre. Pour en connaître davantage, il faudra attendre le budget du printemps prochain, ou une éventuelle plateforme électorale, mais le temps pourrait bien jouer contre les libéraux. Le résultat amer de l’élection de 1998 pour Lucien Bouchard démontre combien la reconnaiss­ance pour services rendus en temps de crise peut être éphémère.

À entendre Erin O’Toole poursuivre à l’émission Tout le monde en parle la cour assidue qu’il lui fait depuis son élection à la direction du PC, il ne fait aucun doute dans son esprit qu’une victoire conservatr­ice passe obligatoir­ement par des gains au Québec, où la maigre récolte de dix circonscri­ptions à l’élection du 21 octobre 2019 avait constitué une vive déception pour son prédécesse­ur, Andrew Scheer. Jusqu’à présent, on ne peut pas parler d’une grande réussite. Avec 18 % des intentions de vote au Québec, selon Abacus Data, le PC a seulement 2 points de plus qu’en 2019, loin derrière le PLC (35 %) et le Bloc québécois (29 %).

La résurrecti­on du Bloc avait été fatale au PC l’an dernier. C’est essentiell­ement à ses dépens qu’il peut espérer augmenter sa députation. Cela n’est cependant possible que si le premier ministre Legault retire l’appui officieux qu’il avait accordé au Bloc en laissant YvesFranço­is Blanchet se présenter comme son porte-parole à la Chambre des communes, malgré tous les efforts que M. Scheer avait faits pour lui plaire.

Il faut dire qu’à l’époque M. Legault se souciait plus ou moins de savoir qui formerait le gouverneme­nt à Ottawa, pour autant qu’il soit minoritair­e. Aujourd’hui, il serait très heureux d’être débarrassé de Justin Trudeau, avec lequel il n’a aucun atome crochu, et le seul qui est en mesure de lui succéder est M. O’Toole. Si bien intentionn­é que soit le Bloc, il ne peut que jouer l’empêcheur de tourner en rond.

Lors de l’élection québécoise d’octobre 2022, M. Legault aimerait bien faire état d’un progrès dans la réalisatio­n de son « Nouveau projet pour les nationalis­tes du Québec », qui est au point mort depuis deux ans, et plusieurs des positions de M. O’Toole le rejoignent. Entendre le chef conservate­ur déclarer que « protéger l’existence de la seule nation francophon­e en Amérique du Nord est un projet noble », et que tous les efforts doivent être faits pour que le français demeure la langue commune et la langue du travail au Québec, était de la musique à ses oreilles.

Depuis le début de la pandémie, les Canadiens sont généraleme­nt satisfaits de la gestion du gouverneme­nt Trudeau. Et 44 % estiment que les libéraux sont plus qualifiés que les conservate­urs (27 %) pour atténuer les effets de la COVID-19.

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