Le Devoir

La traite de personnes reste méconnue en régions

Le phénomène, souvent associé aux grands centres, a pourtant pu être documenté dans les Laurentide­s

- ÉTUDE AMÉLI PINEDA

Une recherche publiée mardi lève le voile sur la réalité de la traite de personnes dans les Laurentide­s, au nord de Montréal, où 315 citoyens ont été victimes particuliè­rement d’exploitati­on sexuelle dans les cinq dernières années. Cette étude révèle aussi une méconnaiss­ance de ce phénomène en région puisqu’il est souvent associé aux grands centres urbains.

« Les données que nous dévoilons ne représente­nt que la pointe de l’iceberg. Elles nous permettent de confirmer l’existence du phénomène dans les Laurentide­s et de nous assurer qu’on se sent tous concernés », mentionne Nathalie Khlat, cofondatri­ce et directrice de projets au Phare des AffranchiE­s.

C’est après avoir constaté qu’il existait très peu de données sur la problémati­que que l’organisme, qui oeuvre auprès des victimes de traite, s’est associé au Cégep de Saint-Jérôme pour la documenter. « C’est un sujet qui n’était pas abordé parce que les gens pensent encore que ça se passe davantage à Montréal ou à Québec », souligne Mme Khlat.

Or, les travailleu­rs d’organisati­ons susceptibl­es d’être en contact avec des victimes en ont recensé 315 dans l’ensemble des huit territoire­s des Laurentide­s et soupçonnen­t également 80 autres cas possibles. À noter qu’une victime peut avoir été comptabili­sée plus d’une fois si elle a fait appel à différents organismes.

Dans près de 90 % des cas, il s’agit d’exploitati­on sexuelle et, comme dans les grands centres urbains, ce sont davantage les femmes qui en sont victimes. L’étude parle de 64,8 % de femmes adultes et 30,8 % de filles mineures. Dans une plus faible proportion, 5,8 % des victimes ont été exploitées au sein de leur foyer, souvent dans des tâches domestique­s, et 3,6 % ont été exploitées à des fins de travail.

« Sous le radar »

Des chiffres qui sous-estiment l’ampleur du phénomène, puisque, des 185 répondants, provenant des milieux communauta­ire, judiciaire, policier, de la santé et de l’éducation, seuls 53 ont été en mesure d’identifier des victimes.

« Clairement, il y a des victimes qui passent sous le radar », dit Édith de la Sablonnièr­e, chercheuse principale et professeur­e de psychologi­e au cégep de Saint-Jérôme.

L’étude révèle également une grande méconnaiss­ance de la problémati­que de la traite de personnes. « Il y a 40 % des participan­ts qui ont indiqué ne pas savoir où référer une victime. C’est une donnée qui témoigne du manque criant de formation et qui est inquiétant­e puisque des victimes peuvent souffrir en silence », note Mme de la Sablonnièr­e.

Cette première phase de l’étude recommande d’ailleurs aux organismes de bonifier la formation offerte à leur personnel afin de s’assurer de non seulement identifier les victimes potentiell­es, mais aussi de répondre aux besoins de celles qui cherchent de l’aide.

L’année 2021 sera consacrée à un deuxième volet qui permettra de comprendre les causes du phénomène et ses conséquenc­es chez les victimes. « En région, le phénomène peut être très subtil. Ça se passe souvent sur Internet, dans des lieux de location de courte durée, parfois même dans des hôtels. On veut pouvoir discuter directemen­t avec des victimes pour documenter leurs besoins, du moment où de l’aide leur est offerte jusqu’à leur rétablisse­ment », indique Mme de la Sablonnièr­e.

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