Le Devoir

Aux grands maux les grands moyens

- COMMISSION LAURENT ROBERT DUTRISAC

La présentati­on du rapport final de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse est reportée au printemps. Mais sa présidente, Régine Laurent, a tenu à dévoiler dès maintenant les « constats et orientatio­ns » qui ont fait consensus au sein du groupe de 12 commissair­es. Comme il fallait s’y attendre, la Commission recommande une profonde transforma­tion des services de protection de la jeunesse à la mesure des témoignage­s déchirants qu’elle a entendus.

Le gouverneme­nt doit créer et pourvoir sans attendre un poste de directeur national de la protection de la jeunesse avec un statut de sous-ministre, à la fois « ange gardien et chien de garde », selon les termes de la Commission, qui se fait critique des réformes subies par le réseau de la santé et des services sociaux, dont celle de 2015 orchestrée par Gaétan Barrette. Les modes de gestion des CIUSSS et des CISSS sont mal adaptés à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), qui « s’est retrouvée isolée, noyée sous une cascade de décideurs ».

Il est d’ailleurs surprenant qu’une mission de l’État aussi importante que la protection de la jeunesse ne soit pas chapeautée par un directeur national responsabl­e et garant de l’efficacité d’un système qui, on le sait, connaît ratés et bavures à répétition, tout en donnant des services rationnés qui varient grandement d’une région à l’autre.

Les commissair­es ne sont pas allés jusqu’à recommande­r une « réforme de la réforme » Barrette visant une décentrali­sation de cette monstruosi­té bureaucrat­ique, mais c’est tout comme : ce sera au nouveau directeur d’apporter les correctifs qui s’imposent et de revoir l’organisati­on de la DPJ.

La commission Laurent ne mâche pas ses mots : les familles qui ont recours à la DPJ, tant les parents que les jeunes, mais aussi les intervenan­tes — ce sont surtout des femmes qui occupent ces postes — « sont en détresse ». Il est désespéran­t pour ces intervenan­tes d’être incapables, en raison de leurs conditions de pratique, de dispenser des services de qualité à la hauteur des besoins, relèvent les commissair­es.

Parmi les orientatio­ns dévoilées lundi, la plus fondamenta­le, c’est sans aucun doute que « la parole, l’intérêt, le bien-être et les droits de l’enfant » deviennent « les critères absolus » de toute décision de la DPJ le concernant. Cette orientatio­n implique un changement à la Loi sur la protection de la jeunesse qui est ambiguë à cet égard et sujette à interpréta­tion.

L’article 3 affirme que les décisions prises par la DPJ « doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits » tandis que l’article 4 indique que « toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial », c’est-à-dire sa famille biologique. Or la Commission note que les décisions ne sont pas toujours prises dans l’intérêt de l’enfant et que celui-ci n’est pas suffisamme­nt écouté. Elle souligne l’importance pour les enfants « de vivre au sein d’une famille stable et permanente, entourés d’adultes qui les aiment et auxquels ils peuvent s’attacher pour la vie ». Et ce n’est pas toujours la famille biologique.

Les jeunes adultes qui sont venus témoigner des grandes difficulté­s qu’ils ont éprouvées à leur majorité après leur départ des centres de réadaptati­on ou des familles d’accueil ont été entendus. La Commission recommande avec raison qu’on accompagne ces jeunes, souvent sousscolar­isés, peu qualifiés et isolés, au-delà de 18 ans.

Il y a bien sûr la question du financemen­t de cette mission, qui est depuis toujours et encore aujourd’hui inadéquat, rappelle la Commission. Il faut investir en prévention, seule façon de diminuer les coûts des services spécialisé­s et ultra-spécialisé­s.

On ne saurait ignorer que financer adéquateme­nt la protection de la jeunesse, c’est autant un devoir moral qu’une responsabi­lité cruciale sur les plans social et économique. Le Québec ne peut se permettre que le potentiel de ces jeunes soit laissé en friche, que des vies soient gâchées, avec tous les coûts sociaux et la souffrance que cela suppose. Ce serait faire un mauvais calcul que de persister à lésiner à ce chapitre.

C’est tout un chantier que la commission Laurent nous somme d’entreprend­re, celui de faire du Québec une « société bienveilla­nte » à l’égard des enfants. Seulement, il est dommage qu’il s’agisse d’un lancinant rappel, plus de 20 ans après le rapport Un Québec fou de ses enfants, qui professait semblable idéal, en grande partie ignoré.

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