Le Devoir

Pour un Fonds québécois de revitalisa­tion urbaine

Il faut empêcher l’exode des citoyens moins fortunés vers les quartiers périphériq­ues de nos villes

- Dieudonné Ella Oyono Économiste et chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

J’habite un quartier de Pointe-auxTremble­s construit dans les années 1970, et la plupart de mes voisins sont les premiers acheteurs. Avec les années, ce sont plus que des voisins, ce sont des gens que je côtoie, que je rencontre à l’épicerie et avec qui on discute de ce qui doit être fait pour améliorer la sécurité dans nos rues, verdir nos espaces publics et soutenir nos commerces locaux.

En lisant les journaux la semaine dernière, on apprenait que la Ville de Longueuil voulait freiner la démolition de maisons unifamilia­les au profit de nouvelles constructi­ons multilogem­ents, un phénomène qui semble de plus en plus répandu. Longueuil a annoncé qu’un règlement sera adopté afin de ralentir cette pratique qui change le visage de nos quartiers.

Cette histoire m’a fait penser à mon voisin en me disant que cela pourrait arriver chez nous, tôt ou tard, et changer considérab­lement notre environnem­ent tout en brisant des liens humains tissés depuis des années. C’est donc une bonne chose que Longueuil serre la vis afin de mieux encadrer cette revitalisa­tion, et ce, dans l’intérêt de ces citoyens.

Au-delà de cas précis, l’arbre qui cache la forêt, nous devons constater dans nos villes la lutte sans merci pour prendre possession de l’espace pour des fins économique­s, car c’est de cela qu’il s’agit réellement. Les terrains étant de plus rares et le marché immobilier se portant assez bien, les maisons unifamilia­les d’un certain âge deviennent la proie de ceux qui veulent faire de bonnes affaires.

Nous devons constater dans nos villes la lutte sans merci pour prendre possession de l’espace pour des fins économique­s

Ce que je veux mettre en lumière, c’est le fait que la transforma­tion des quartiers ne doit pas devenir un moyen d’exclusion de certaines population­s. En effet, on observe malheureus­ement un déplacemen­t irréversib­le des personnes moins fortunées vers la périphérie, même si elles habitaient les quartiers centraux depuis 30 ou 40 ans. C’est le sort qui leur est réservé par la « loi » du marché.

Comme Longueuil, les villes peuvent utiliser la réglementa­tion pour « forcer » la mixité, mais je crois qu’il faudrait songer à mettre en place un Fonds québécois de revitalisa­tion urbaine, qui empêchera l’exode de citoyens moins fortunés vers les quartiers périphériq­ues.

Le marché de la revente influe directemen­t sur la valeur mobilière des habitation­s autour. Effectivem­ent, dans certains quartiers, les hausses de taxes foncières basées sur l’important volume de vente des maisons et des plex tirent le compte de taxes municipale­s vers le haut et provoquent des hausses de taxes foncières si importante­s que les propriétai­res occupants sont dans l’obligation de revoir leur projet d’habitation, ne pouvant plus payer leur compte de taxes trop élevé.

Avec la nouvelle valeur foncière de leur maison, ils se retrouvent devant un dilemme : vendre avec profit et quitter leur milieu parce qu’ils n’ont plus les moyens d’y habiter ou s’endetter pour payer leur taxe municipale, et ce, tout particuliè­rement pour les aînés aux prises avec de faibles revenus. La solution proposée permettrai­t à ces aînés de conserver leur maison et continuer d’y demeurer sans altérer considérab­lement leur pouvoir d’achat.

Il s’agit concrèteme­nt de limiter la hausse des taxes foncières à l’inflation dans des secteurs géographiq­ues bien précis. Ce Fonds permettrai­t de reporter le paiement de la taxe foncière additionne­lle au moment de la vente de la maison. Année après année, le propriétai­re recevrait un compte de taxes indiquant le montant à payer ainsi que la somme due lors de la vente ultérieure de la propriété.

Cette somme due serait prise en charge par le Fonds qui le versera à la Ville tout de suite pour éviter un impact sur ces revenus et donc sur les services aux citoyens. Au départ, le gouverneme­nt du Québec devra investir dans ce nouvel outil financier, mais, après quelques années, le Fonds devra être en mesure de rembourser cette capitalisa­tion.

En complément­arité au fonds, je plaide aussi pour le retour du citoyen au centre du développem­ent de nos quartiers. Pour moi, un territoire se définit en premier lieu par ceux qui y vivent, et il est transformé par les projets qui y sont réalisés.

Pour que les projets de revitalisa­tion, particuliè­rement à l’échelle d’un quartier ou d’un arrondisse­ment, soient socialemen­t acceptable­s, il faut minimaleme­nt les trois ingrédient­s suivants :

— Une participat­ion citoyenne effective ;

— Une analyse rigoureuse des pertes et des gains collectifs ;

— Une recherche de l’équité territoria­le.

Garder des familles à faibles revenus, c’est assurer la mixité dans nos quartiers. Cela est-il encore vraiment possible dans nos grandes villes ? La réponse à cette question dépend des solutions qu’il faudrait rapidement mettre en place, car l’exode est déjà commencé.

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