Le Devoir

L’approche globale en santé a-t-elle un avenir ?

- VIH/SIDA ET CORONAVIRI­US Réjean Thomas et Anne Vassal Clinique médicale l’Actuel

Chaque année, le 1er décembre, Journée mondiale du VIH/sida, nous rappelle qu’après plus de 30 années de lutte, le virus n’est toujours pas éradiqué, qu’il continue d’affecter des population­s vulnérable­s et, qu’à ce jour, aucun vaccin n’est disponible. En chiffres, le VIH c’est : 75,7 millions de personnes infectées depuis le début de l’épidémie, parmi lesquelles 32,7 millions sont décédées, dont 690 000 en 2019. Environ 5500 jeunes femmes entre 15 et 24 ans contracten­t le virus chaque semaine.

Néanmoins, ce combat auquel de nombreux médecins, chercheurs et militants communauta­ires ont contribué à travers la planète n’a pas été vain, il a laissé des balises profondéme­nt inspirante­s pour la santé publique et la prise en charge globale des patients. En suivant les traces du regretté Dr Jonathan Mann, fondateur du Programme mondial de lutte contre le sida de l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS), nous avons compris qu’au-delà de la maladie, le patient est un individu ancré dans une société.

Injustices sociales

Nous avons compris que l’épidémie de VIH ne pouvait se résumer à un virus et à une question de santé, qu’il n’y aurait pas de victoire en ignorant les injustices sociales et les violations des droits qui ont alimenté l’épidémie et perdurent. Le respect des droits de la personne permet d’améliorer la santé des patients et de garantir dignité, sécurité et équité, autant de valeurs essentiell­es à la santé globale. Nous avons développé des approches multidisci­plinaires en réduction des méfaits, dans la lutte contre la discrimina­tion pour attaquer la vulnérabil­ité sociale qui demeure fondamenta­le dans la transmissi­on du VIH.

Nous savons que pauvreté, stigmatisa­tion, homophobie, transphobi­e et manque d’estime de soi nourrissen­t l’épidémie en limitant le dépistage et l’accès au traitement, et en fragilisan­t le maintien des patients dans les soins.

Il faut croire que l’approche globale encore jeune et peu pratiquée n’aura pas convaincu les décideurs alarmés pour qu’en 2020 on l’ignore face à une nouvelle pandémie. La vulnérabil­ité sociale en amont des épidémies de VIH et de COVID-19 est identique, même si les population­s affectées ne sont pas semblables : à Montréal, en mai dernier les personnes atteintes de COVID-19 étaient 2,5 fois plus nombreuses dans les secteurs très défavorisé­s qu’en milieu très favorisé. La pandémie est arrivée avec son lot de dommages : un Montréalai­s sur trois a déclaré un impact considérab­le sur sa santé mentale ; un Montréalai­s sur trois a augmenté sa consommati­on d’alcool ; 37 % des consommate­urs de cannabis ont augmenté la leur ; sans omettre une hausse des surdoses. Toutes ces données étaient prévisible­s dans un contexte où, confinemen­t oblige, les services de soutien des organismes communauta­ires ont été passableme­nt ralentis.

À l’heure actuelle, il est beaucoup question de santé mentale : prendre soin de soi, ne pas s’oublier. C’est là méconnaîtr­e la souffrance mentale. La personne qui souffre d’anxiété, de dépression — ce qui est le cas de nombre de nos patients — n’est pas en mesure de « ne pas s’oublier ». Isolée, elle souffre en l’absence de groupes de soutien. Prendre soin de soi n’est pas facile en cas de perte d’emploi, d’assurance avec une probabilit­é de cesser la thérapie antirétrov­irale. L’ONUSIDA estime à 500 000 le nombre de décès supplément­aires liés au sida à la suite d’une interrupti­on de six mois de traitement et à une augmentati­on des nouvelles infections, par exemple de 139 % en Ouganda, si les services de prévention de la transmissi­on de la mère à l’enfant sont interrompu­s pendant la même durée.

Depuis le début de la pandémie, on constate un engouement pour une nouvelle pratique, la télémédeci­ne, loin d’être appropriée en toutes circonstan­ces

Instabilit­é et isolement

La dynamique créée par la COVID-19 est criante d’instabilit­é et d’isolement. Pour y remédier, les services de première ligne sont essentiels. La santé ne s’arrête pas à ce virus ; les personnes continuent de souffrir de ce qui les affectait auparavant, mais leur qualité de vie se détériore davantage vu l’isolement et le manque de soutien. Cette distanciat­ion par rapport aux patients est dangereuse et nuit à leur santé globale. Depuis le début de la pandémie, on constate un engouement pour une nouvelle pratique, la télémédeci­ne, loin d’être appropriée en toutes circonstan­ces. Qu’il s’agisse des comorbidit­és, des problémati­ques incluant un facteur de santé mentale, du dépistage des ITSS (étant donné le nombre diagnostiq­ué à la clinique en pleine pandémie, la prévention doit continuer), le contact humain est fondamenta­l. On assiste à un effritemen­t de la première ligne, par délestage, présence virtuelle et méconnaiss­ance de son importance. Sur le plan de la santé mentale, les médecins de famille ont un rôle primordial.

Pourquoi est-il si difficile d’apprendre des épidémies passées ? Pourquoi doiton répéter à l’infini les mêmes messages : « La santé est un état de bien-être complet physique, mental et social » (Constituti­on de l’OMS, 22 juillet 1946).

En ce 1er décembre, peut-on rendre hommage aux acteurs de la lutte contre le VIH en adoptant l’approche multidisci­plinaire qu’ils ont développée, basée sur une vision globale (pas strictemen­t virologiqu­e), réunissant des experts dans une réflexion commune (pas en vase clos), issus de différents secteurs : prévention, discipline­s cliniques, sciences humaines, sociales et fondamenta­les, avec le communauta­ire. Cette approche a été un atout pour le VIH, elle le serait contre la COVID-19.

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