Le Devoir

C-10, un projet de loi perfectibl­e

- PIERRE TRUDEL

Le projet de loi C-10 vise à faire en sorte que l’ensemble des entreprise­s qui se livrent à des activités de diffusion et de distributi­on d’émissions au moyen d’Internet ou autrement fonctionne­nt en harmonie avec les exigences de la politique canadienne de radiodiffu­sion. En proposant cette mise à jour trop longtemps reportée, le gouverneme­nt entreprend un rattrapage nécessaire dans la mise en place du cadre législatif des activités de diffusion de créations audiovisue­lles de plus en plus tributaire­s des environnem­ents en ligne.

Pour apprécier la teneur et le bien-fondé des propositio­ns de mise à niveau de la Loi sur la radiodiffu­sion, il faut tenir compte de ses caractéris­tiques. Cette loi est conçue selon une architectu­re particuliè­re. Lorsqu’on en lit le texte, on n’y trouve pas — car il n’y a jamais eu — de dispositio­ns qui énoncent le détail des obligation­s des entreprise­s. La loi n’édicte pas des quotas ou des sommes d’argent à investir dans les programmes ; elle énonce plutôt des objectifs, une politique globale qui doit se réaliser grâce à la contributi­on de l’ensemble des entreprise­s diffusant des émissions au Canada.

En plus d’énoncer la politique à mettre en oeuvre, la Loi sur la radiodiffu­sion met en place les mécanismes pour assurer que la politique de radiodiffu­sion se traduise en actions concrètes. Il est donc normal de ne pas y trouver de dispositio­ns précises, par exemple sur les quotas de contenus francophon­es ou les niveaux de dépenses que les entreprise­s doivent consacrer à la production canadienne. C’est plutôt dans les règles mises en place par le CRTC que se trouvent de telles exigences, le plus souvent taillées sur mesure afin de répondre aux contextes variés et changeants.

Parmi les objectifs assignés au système de radiodiffu­sion dans son ensemble par la loi actuelle, il y a celui de « favoriser l’épanouisse­ment de l’expression canadienne en proposant une très large programmat­ion qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadienne­s, qui mette en valeur des divertisse­ments faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’informatio­n et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien ». La loi rappelle que « les radiodiffu­sions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d’exploitati­on et, éventuelle­ment, quant à leurs besoins. » Le projet de loi C-10 propose d’ajouter à la loi la nécessité que le système de radiodiffu­sion reflète les réalités autochtone­s et celles des personnes racisées.

Le projet de loi C-10 propose — il était temps — d’inscrire clairement que toutes les entreprise­s qui transmette­nt des émissions, même sur Internet, seront a priori tenues de respecter la loi et les exigences qui seront mises en place par le CRTC. Hélas, le projet de loi C-10 exclurait toutes les entreprise­s qui diffusent par le moyen des plateforme­s de réseaux sociaux du champ d’applicatio­n de la loi. C’est une exclusion à la fois dangereuse et inutile. La loi confère déjà au CRTC un pouvoir d’exempter les types d’entreprise­s qui ne soulèvent pas d’enjeux particulie­rs.

Les objectifs du système de radiodiffu­sion déterminen­t les finalités auxquelles doivent répondre les conditions imposées aux entreprise­s de diffusion d’émissions. Cette loi procède du constat que la possibilit­é pour les Canadiens de faire de véritables choix est tributaire d’un ensemble de conditions destinées à garantir la disponibil­ité des émissions originales résultant de l’activité créatrice d’ici. Les émissions originales et les oeuvres musicales qui font tant notre fierté n’arrivent pas sur nos écrans et dans nos récepteurs par hasard. C’est le résultat d’un environnem­ent réglementa­ire qui fait en sorte que ceux qui tirent profit de la diffusion de contenus contribuen­t à la production d’oeuvres originales émanant du travail de nos créateurs et interprète­s. C’est grâce à ces mesures que nous avons de réelles possibilit­és de choisir aussi bien les créations d’ici que celles venant d’ailleurs.

Au lieu d’énoncer directemen­t des obligation­s aux diverses entreprise­s, la loi institue un processus de régulation. Elle dote le CRTC de plusieurs pouvoirs afin de prescrire les conditions que devra respecter chaque entreprise. Cela se comprend. Il s’agit de relever le redoutable défi de réguler un champ d’activité qui évolue très vite. Un domaine caractéris­é par la volatilité des conditions techniques, des modes, des habitudes d’écoute et des styles créatifs. Il faut des mécanismes de régulation souples, capables d’anticiper les contextes changeants de la création et de la diffusion des multiples activités créatrices.

Les objectifs généraux énoncés dans la loi sont traduits par le CRTC en exigences spécifique­s imposées à chaque entreprise au moyen des règlements, conditions de permis et ordonnance­s. Pour qu’un tel modèle fonctionne, il faut que le CRTC cultive une vision prospectiv­e, se dote de capacités autonomes de comprendre le contexte et de choisir proactivem­ent les mesures afin d’anticiper et non de subir les évolutions. Dans le passé, le CRTC a trop souvent utilisé les marges d’appréciati­on que lui confère la loi pour démanteler les conditions qui assurent la disponibil­ité d’émissions canadienne­s. Par exemple, au lieu de prendre les moyens pour imposer aux entreprise­s en ligne des exigences compatible­s avec les objectifs de la loi, il a persisté à les exempter de toute obligation destinée à assurer des réinvestis­sements dans la production canadienne.

À cet égard, le projet de loi C-10 doit être amélioré. Il faut y inclure des garanties que le CRTC ne pourra utiliser la marge d’appréciati­on que lui réserve la loi pour en contredire le sens et les finalités. Par exemple, le pouvoir qui lui est accordé d’exempter certaines entreprise­s des exigences découlant de la loi doit être encadré et conditionn­el à une démonstrat­ion documentée que l’activité des entreprise­s que le Conseil propose d’exempter de l’obligation de respecter les règles n’a effectivem­ent pas d’incidence sur la réalisatio­n des objectifs de la politique de radiodiffu­sion.

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