Le Devoir

Le casse-tête

- MANON CORNELLIER

Préparer un budget ou un énoncé économique quand tout est en flottement n’est pas une sinécure. La pandémie actuelle a tout bousculé, et la deuxième vague a semé l’inquiétude. Si le gouverneme­nt fédéral ne veut pas laisser tomber les Canadiens, comme il l’a promis, il devra continuer à délier les cordons de sa bourse.

On serait mal venu de lui reprocher de vouloir aider les Canadiens à garder la tête hors de l’eau et de vouloir, pour la suite des choses, faire des investisse­ments structuran­ts. Il en a les moyens, bien que sa marge de manoeuvre rétrécisse rapidement. Le Trésor fédéral n’est pas un puits sans fond, comme le soulignait récemment la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Où cela s’arrêtera-t-il alors ? La ministre, qui a hérité de ce casse-tête, n’a pas vraiment répondu lundi lors de la présentati­on de son énoncé économique. Bien des économiste­s attendaien­t d’elle des balises claires pour encadrer la gestion des finances publiques, alors que les partisans d’une relance verte et juste espéraient l’annonce d’un plan post-pandémie audacieux et généreux.

Temps incertains

Tout le monde restera sur sa faim. Le gouverneme­nt a refusé de trop s’engager, les temps étant trop incertains. Le ministère des Finances a examiné les conséquenc­es économique­s de scénarios de résurgence du virus, ce qui pourrait exiger la prolongati­on de restrictio­ns plus ou moins strictes.

Dans le pire des cas, celui d’un large confinemen­t, la reprise pourrait attendre la fin de 2021, ce qui entraînera­it des pertes de revenus et des dépenses supplément­aires pour le gouverneme­nt fédéral avec, à la clé, une augmentati­on du déficit annuel de 16 milliards de dollars. Mais la situation pourrait aussi s’améliorer et le fardeau financier, s’alléger.

Le ministère des Finances a quand même estimé le déficit pour cette année (381,6 milliards) et celui des cinq années suivantes. Les programmes temporaire­s devant prendre fin en 2021, le manque à gagner chutera à partir de l’année prochaine et déclinera de façon constante. La dette en revanche s’alourdira, bien qu’on insiste plutôt sur son poids à peu près stable par rapport à notre économie. Il représente­ra plus de 50 % du produit intérieur brut (PIB) durant presque toute la période de prévisions.

Relancer l’économie

Le choix de cette donnée n’est pas anodin. Le Canada affichait et affiche encore la meilleure performanc­e du G7 en la matière. Ce que Mme Freeland ne s’est pas privée de rappeler. Malgré ce bilan, elle refuse, dans le contexte actuel, de se fixer des cibles précises pour mesurer le déficit et la dette en fonction du PIB. « Le Canada reprendra sa trajectoir­e financière prudente, responsabl­e et de longue date, sur la base d’une cible financière à long terme que nous définirons lorsque l’économie sera stable », promet-elle.

Elle ne dit pas cependant si son intention est de s’assurer de ne pas laisser le poids de la dette franchir le seuil de 60 % du PIB. Ce qui serait possible à court terme, car le gouverneme­nt prévoit investir entre 70 et 100 milliards sur trois ans pour relancer l’économie. Or, les données sur la dette du ministère des Finances ne prennent pas en compte ces futures dépenses, leur distributi­on au fil des ans n’étant pas arrêtée. Tout dépendra de l’évolution de la pandémie. Encore elle !

Le plan de relance demeure d’ailleurs un mystère. Quelques mesures pouvant être mises en oeuvre rapidement ont été annoncées, alors que certains projets, maintes fois promis, laissent sceptique, surtout ceux qui empiètent dans les plates-bandes des provinces, comme les services de garde ou les soins de longue durée.

Pour le reste, soit l’essentiel, il faudra attendre des consultati­ons qui dureront tout l’hiver, soit jusqu’au prochain budget. L’exercice servira à « planifier et à préparer les investisse­ments » que fera le gouverneme­nt « au moment où le virus sera maîtrisé », a déclaré la ministre aux Communes. Mais le sera-t-il en mars prochain ?

Aucun vaccin n’a encore été autorisé, et on ignore lequel le sera en premier. Les plus prometteur­s requièrent des conditions d’entreposag­e et de transport différente­s, ce qui complique la planificat­ion de leur distributi­on.

L’incertitud­e est rarement une alliée en politique, comme le constate le gouverneme­nt Trudeau dans ce dossier litigieux de la disponibil­ité des vaccins.

La multiplica­tion des inconnues entourant toute la pandémie, avec la récession provoquée dans son sillage, peut expliquer la réticence de la ministre à adopter immédiatem­ent des cibles contraigna­ntes.

Mais comment le gouverneme­nt peut-il alors prévoir des dépenses représenta­nt de 3 à 4 % du PIB par année pour assurer la relance économique ? Et le faire sans offrir plus de détails ?

Chrystia Freeland n’est pas reconnue pour son indécision. Elle gagne du temps, garde ses munitions, mais elle rend ainsi le test du printemps, celui du budget, encore plus exigeant pour elle.

On attendra alors un plan encore plus ambitieux et des cibles plus claires, virus maîtrisé ou pas. Mais tout cela surviendra au moment où la fièvre électorale pourrait s’intensifie­r, ce qui peut expliquer en partie cela.

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