Christopher Plummer, la passion du jeu dans le sang
L’immense comédien canadien, décédé vendredi, se distingua à la scène et au cinéma au fil d’une carrière longue de 75 ans
Il possédait une voix à la fois profonde et soyeuse, capable de séduire ou d’inquiéter à égale mesure, selon sa façon de la moduler. Bleu clair, ses yeux pouvaient pareillement envoûter ou terrifier, parfois au détour d’une même scène. Disparu à l’âge vénérable de 91 ans, l’acteur Christopher Plummer savait jouer avec la même virtuosité les personnages vils ou attachants. En 1965, il connut la gloire dans The Sound of Music, en rigide mais romantique Capitaine Von Trapp. À 82 ans, il devint l’acteur le plus âgé à recevoir un Oscar, pour Beginners. Au théâtre, il était considéré comme l’un des plus grands acteurs shakespeariens modernes.
Né à Toronto en 1929, Christopher Plummer grandit dans l’agglomération de Senneville, dans l’ouest de l’île de Montréal. Son père John travaillait dans la finance, et sa mère Louisa Mary, petite-fille de l’ancien premier ministre John Abbott, à l’Université McGill, avant d’elle-même poursuivre une carrière artistique en tant que peintre. Ses parents divorcèrent peu après sa naissance et il vécut surtout avec sa mère.
En 1944, le film Henry V, de Laurence Olivier, le subjugua et scella son destin : il serait acteur. Si grandes étaient sa passion et sa certitude que rien d’autre ne comptait qu’il renonça à poursuivre ses études. Il apprit les rudiments du métier au sein de la compagnie Montreal Repertory Theatre, où il entra dès la fin de l’adolescence.
En un beau retour des choses, c’est sa performance dans Henry V, au Festival de Stratdford, en 1956, qui le consacra. Il était par ailleurs le premier interprète canadien à se voir confier le premier rôle d’une des productions de l’événement qui, bien que basé en Ontario, préférait jusque-là solliciter des pointures britanniques. Quoique Christopher Plummer vivait alors d’ores et déjà à New York.
L’amour des planches ne quitta jamais Christopher Plummer. En 1970, son interprétation de Cyrano lui valut le premier de ses deux prix Tony (il reçut le second pour Barrymore, en 1997). C’est toutefois à Shakespeare qu’il revint le plus souvent. En 1982, son Iago, le fourbe d’Othello, mit en liesse la presse de Broadway. Idem pour son Roi Lear, en 2004.
Habitué de la télévision dès les années 1950, il y joua des téléthéâtres et des émissions originales. C’est à la fin de la décennie qu’il fit ses débuts au cinéma sous la direction de Sidney Lumet dans Stage Struck qui, ironiquement, se déroule dans le milieu théâtral de Broadway. À partir de là, Christopher Plummer sera aussi actif au théâtre qu’au petit et au grand écran.
Damnée célébrité
On l’évoquait, la célébrité, celle que confère une superproduction hollywoodienne, lui tomba dessus en 1965 avec The Sound of Music. « Tomba », car des années durant, Christopher Plummer, pourtant resté proche de sa co-vedette, Julie Andrews, et du réalisateur, Robert Wise, vécut mal ce méga succès, surnommant le film « The Sound of Mucus ». Ceci expliquant peut-être cela, plutôt que d’essayer de faire davantage mousser sa carrière à Hollywood, il resta à Londres, divisant son temps entre la scène et des participations à des coproductions internationales historicoguerrières souvent peu mémorables (Triple Cross, The Night of the Generals, Waterloo). Peu vu, le drame policier The Pyx (Harvey Hart, 1973), tourné à Montréal, fait figure de belle exception.
Dans plusieurs entrevues, Christopher Plummer fit en outre état d’un problème d’alcool devenu « hors de contrôle » durant cette période. Sobre, il effectua un double retour, d’abord au théâtre puis au cinéma dans l’une de ses plus vibrantes interprétations, celle de Rudyard Kipling dans The Man Who Would Be King, de John Huston (1975). Par la suite, il se réinstalla aux ÉtatsUnis et, jusqu’à la fin, tourna entre deux et quatre films par an.
Au cinéma, c’est surtout au Canada qu’il tint des premiers rôles : son braqueur psychopathe dans Silent Partner (Daryl Duke, 1978), son Sherlock Holmes étonnamment chaleureux aux trousses de Jack l’Éventreur dans Murder by Decree (Bob Clark, 1979), et, des années plus tard, son vieil homme atteint d’Alzheimer qui tente de retracer un criminel nazi dans Remember (Atom Egoyan, 2015), comptent parmi ses plus impressionnantes compositions.
Dans l’intervalle, il apparut en soutien dans une foule de films américains et brilla au théâtre, en vedette cette fois. En 2018, il confia au Guardian : « J’ai fait des choses dont j’ai été fier. Je suis parvenu à terminer le cycle des grands rôles classiques. Je les ai tous joués, certains plus d’une fois. C’est hors de mon chemin maintenant — j’aimerais voir des femmes venir les jouer. »
La figure du père
En 1992, son apparition dans Malcolm X, de Spike Lee (qu’il retrouva dans Inside Man en 2006), marqua sans qu’il le sache le début d’un deuxième âge d’or cinématographique. Les cheveux grisblanc et son instrument plus aiguisé que jamais, il conférait une autorité naturelle à ses rôles, accroissant par sa seule présence la stature du film. En vrac : son inspecteur soupçonneux dans Dolores Claiborne, son animateur de 60 Minutes pris dans le scandale de l’industrie du tabac dans The Insider, son capitaine Christopher Newport dans The New World (Terrence Malick, 2005), son Tolstoï mourant dans The Last Station (Michael Hoffman, 2009), son impresario patient dans Danny Collins (Dan Fogelman, 2015)… Que du brio, qu’importe le nombre de scènes — ou la qualité du film proprement dit.
Souvent, on lui confia des rôles de riches et puissants patriarches tour à tour charmants ou détestables, voire les deux : Wolf (Mike Nichols, 1994), 12 Monkeys (Terry Gilliam, 1996), All the Money in the World (Ridley Scott, 2017 ; remplaçant fameusement Kevin Spacey dans des scènes tournées dans un second temps), Knives Out (Rian Johnson, 2019)…
Pour autant, jamais l’acteur ne se répéta-t-il ni ne recourut au « pilote automatique ». À Slant Magazine, il attribuait en 2017 cette capacité à éviter la facilité à son expérience théâtrale.
C’est en l’occurrence un papa merveilleux qu’il créa dans la comédie Beginners (2011) : en veuf qui embrasse son homosexualité sur le tard, il est irrésistible. Au moment de recevoir l’Oscar du meilleur acteur de soutien devant des pairs manifestement ravis de cette reconnaissance de la onzième heure, il déclara, tout sourire : « Tu n’as que deux ans de plus que moi, chéri. Où étais-tu toute ma vie ? »
Revenant, lors du même entretien, sur l’acte de foi qu’il fit en se lançant corps et âme dans le jeu toutes ces années auparavant, Christopher Plummer expliqua : « Une fois que j’ai commencé — boum ! — j’étais perdu. Et puis j’ai été vraiment chanceux. J’ignorais si j’avais démontré du potentiel, mais soudain, je me suis retrouvé dans un monde différent, et j’ai adoré. » Nous aussi.