Le poème à Réhel
Collaborateur Le Devoir
Le radio-oncologue me demande si je vais bien Je dis :
Ça va Je disparais dans le dosage du rayonnement
J’ai 31 ans
J’annonce à ma famille que j’ai le cancer
Ma p’tite soeur pleure
Ma mère ne l’accepte pas Ça l’affecte plus que moi je pense Mon père me dit que je vais combattre ça les doigts dans le nez Il ajoute :
C’est le même cancer que Mario Lemieux
Ça me met de la pression
Je suis chanceux
Je réussis à me faire opérer juste avant la deuxième vague de la COVID
Ma blonde arrête de travailler Pendant le pire de mon traitement Je passe la moitié de ma vie à dormir
Je passe l’autre moitié dans une salle d’attente
Pendant des traitements de radiothérapie
Tous les jours
À la même heure
Je croise toujours les mêmes faces C’est presque rendu mes amis Des vieux amis
Jacques, Gaétan, Luc et Suzanne Ils me trouvent jeune d’avoir le cancer
Me trouve jeune itou
Tout le monde rit de mes blagues ici
Je commence de plus en plus à ressembler à Voldemort dans Harry Potter
C’est tellement fort ce qu’ils te donnent
Après trois jours
La moitié de mes cheveux sont tombés
Je me suis réveillé un matin Mon oreiller était un plancher de salon de coiffure
Les traitements n’arrêtent pas C’est intense
Je me fais tatouer
Des petits points sur le corps pour qu’ils enlignent leurs lasers
J’ai demandé :
Ça part après combien de lavage ?
Ils m’ont dit :
Ça ne part pas
C’est le principe d’un tatouage
J’ai répondu :
Ah OK
Durant chaque traitement On m’installe un masque Moulé à ma face
C’est pour ne pas que je bouge pendant la radiothérapie
Je fais dix-huit traitements
Je suis chanceux
Ça pourrait être plus
Le plus chiant ce sont mes médicaments
La gestion des pilules
Je balance mon pilulier à bout de bras en avant de chez nous Ma blonde le cherche pendant deux jours dans un banc de neige Je parle au pharmacien avec des codes de couleurs
La pilule blanche en forme de maison
Je la déteste pour mourir
Elle m’empêche de dormir Elle me donne des hoquets interminables
Mon système reprend un peu plus Le retour au travail me stresse Je suis pompier
À mon retour
Je vais essayer d’avoir un poste de chauffeur
Peut-être donner de la formation dans les casernes
Je m’ennuie de mes collègues De la vie à la caserne
Je t’avoue que j’ai peur de remettre mon suit
Hier
Je suis allé marcher avec ma famille J’ai vu mon oncle
Quand t’as soixante-cinq ans Tu ne sais pas combien de temps Il te reste à vivre
Cette année-là est plus précieuse pour lui que pour moi
La valeur du temps quand t’es vieux est plus importante Mon oncle trouvait que la petite marche en famille
C’était un spectacle grandiose J’ai pas compris sur le coup Quand je suis revenu chez moi Ma blonde était devant la télé Quand elle m’a demandé comment s’était passée ma journée J’ai été honnête
J’ai répondu :
Comme un spectacle grandiose.
Dans la peau est une série mensuelle inspirée de témoignages de citoyens dont le quotidien est affecté par la pandémie.