Excédées d’être « reléguées aux oubliettes »
Des personnes avec des maladies chroniques lancent un cri du coeur, se sentant oubliées par Québec dans la phase de vaccination ouverte la semaine dernière. Décider qui passe en priorité est toujours difficile, disent deux expertes en santé publique, car en plus des risques de complication, il faut considérer le potentiel de transmission et les contraintes opérationnelles. L’âge demeure aussi le principal facteur de risque, rappellent-elles.
Anne-Audrey Larivière-Bérard attendait avec grande fébrilité l’annonce la vaccination contre la COVID-19 pour le groupe prioritaire 8, car on lui certifiait depuis plus de cinq mois qu’elle en faisait partie. La jeune femme de 29 ans a de faibles défenses immunitaires en raison des médicaments qu’elle prend pour contrôler sa sclérose en plaques.
Or, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a annoncé la semaine dernière que le groupe prioritaire 8 se restreignait maintenant presque exclusivement aux personnes hospitalisées ou avec des suivis très fréquents pour des traitements.
« Je n’en ai pas dormi de la nuit. J’ai cherché toutes les informations possibles », dit Mme Larivière-Bérard.
Je ne comprends pas pourquoi on est laissés dans un flou »
complet ÉMILIE DUMAS BÉRUBÉ
Tout comme elle et de nombreuses autres personnes, Josée Trudel s’explique mal la décision du gouvernement. « Je suis la candidate idéale pour crever du virus », estime-t-elle à cause de ses médicaments contre la maladie de Crohn qui affaiblissent son système immunitaire.
Dès novembre dernier, le Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ) avait en effet classé les adultes de moins de 60 ans avec une maladie chronique au rang 8 de priorité vaccinale. Le groupe comprenait alors un peu plus d’un million de personnes. Après la révision de la semaine dernière, le ministre Dubé a plutôt mentionné qu’environ 150 000 malades chroniques de moins de 60 ans seraient prioritaires pour les prochaines semaines, soit seulement 15 % du groupe 8 initial. Le groupe 9 comprendra quant à lui tous les travailleurs essentiels dans des milieux à risque d’éclosion.
Anne-Audrey Larivière-Bérard a donc l’impression d’être « rétrogradée » au groupe 10, celui de la population en général — de surcroît le plus nombreux de tous. « On se sent complètement oubliés, alors que le gouvernement parle des personnes à risque depuis le début de la pandémie », déplore-t-elle.
C’est que les autorités de santé publique ont dû départager les personnes avec des facteurs de risque en général des autres avec des facteurs de risque « qui les rendent très vulnérables », explique Maryse Guay, professeure de santé publique à l’Université de Sherbrooke. Le fait d’être hospitalisé peut par exemple exposer davantage aux infections, ou encore dans les cas où être contaminé à la COVID-19 aurait de trop lourdes conséquences sur des traitements pour le cancer ou pour des greffes.
« Les hôpitaux ont déjà toute l’infrastructure pour les rejoindre et ils sont déjà suivis », souligne quant à elle la Dre Marie-France Raynault, cheffe du département de médecine préventive et santé publique du CHUM. Des considérations d’ordre logistique ont donc pu peser dans la balance, à cause du désir de vacciner le plus de monde le plus rapidement possible. Quant à la priorité au groupe 9, il s’agit de ralentir la propagation dans les milieux de travail, en visant les travailleurs essentiels qui sont les plus susceptibles d’être des vecteurs de transmission, note-t-elle.
Des répercussions plus graves
Anne-Audrey Larivière-Bérard plaide toutefois le fait que les conséquences de la pandémie sur sa vie ont été plus graves que dans la population en général : « Je suis cloîtrée depuis 13 mois chez mes parents. Pour ne pas prendre de risque, je vis séparée de mon conjoint, je ne vais même pas à l’épicerie, je ne vois personne. Je ne demande pas d’aller au gym après deux mois de confinement léger, je demande d’être vaccinée parce que j’ai perdu un aspect complet de ma vie. Je veux juste rentrer chez moi », expose-t-elle.
Émilie Dumas Bérubé, une autre Montréalaise de 38 ans vivant avec la sclérose en plaques, a aussi été « très déçue » d’être « reléguée aux oubliettes ». Elle a cependant demandé à sa pharmacie d’être mise sur une liste d’attente et a espoir d’obtenir son vaccin rapidement de cette façon. « Je ne comprends pas pourquoi on est laissés dans un flou complet », glisse-t-elle tout de même.
Quant à Mme Trudel, le vaccin est un espoir pour traverser sa détresse psychologique. « Ce serait un premier pas vers la sortie, pour me raccrocher à des raisons de vivre. Je vis la solitude très durement », dit cette femme de 58 ans, également immunosupprimée.
Résidente de l’Estrie, elle pourrait obtenir le vaccin d’AstraZeneca à l’étape actuelle de vaccination. Sa gastroentérologue lui a cependant recommandé de privilégier les vaccins de Pfizer et de Moderna. Jusqu’à maintenant, ces deux fabricants ont présenté plus de données probantes sur leur efficacité contre les variants du virus.
Carole Hébert, une Montréalaise de 58 ans, réclame d’avoir le choix d’un autre vaccin dès maintenant. Elle vit avec du diabète de type 1 depuis l’enfance et se dit très inquiète de ne pas faire partie d’un groupe prioritaire : « Je regarde la pandémie avec les yeux d’un malade et je vois la mort. Et je me fais dire de fermer ma gueule et d’attendre mon tour », lâche-t-elle. Pour justifier son choix, elle évoque un avis de l’INSPQ qui indique que le vaccin d’AstraZeneca « ne devrait pas être systématiquement offert aux personnes qui présentent un risque très élevé de maladie, de complication ».
La Dre Raynault tente tout de même de se faire rassurante : « À sa place, je le prendrais. » « Rejoindre des clientèles très spécifiques demande des stratégies qui ne sont pas toujours celles de la vaccination de masse », explique-t-elle pour les défis opérationnels.
Mme Larivière-Bérard suggère que les personnes avec des maladies chroniques puissent au moins redevenir prioritaires avant la catégorie générale de population de moins de 60 ans. « Au moins pour saluer notre patience et reconnaître les risques avec lesquels on vit », conclut-elle.
Je ne demande pas d’aller au gym après deux mois de confinement léger, je demande d’être vaccinée parce que j’ai perdu un aspect complet »
de ma vie ANNE-AUDREY LARIVIÈRE-BÉRARD