Le Devoir

Confusion autour de la vaccinatio­n prioritair­e

- Laurence Parent Chercheuse postdoctor­ale, Université d’Ottawa

Le 7 avril dernier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, et le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, ont annoncé l’élargissem­ent de la vaccinatio­n aux groupes prioritair­es 8 et 9 à Montréal. Sous le couvert d’une bonne nouvelle, soit la vaccinatio­n en milieu hospitalie­r des personnes qui ont une maladie chronique et qui sont en soins actifs ou surspécial­isés, le ministre Dubé a en fait annoncé, sans vraiment le reconnaîtr­e, un véritable coup de hache dans le groupe 8 et un changement à la stratégie vaccinale québécoise. Près de 85 % des personnes initialeme­nt incluses dans le groupe 8, soit les adultes de moins de 60 ans qui ont une maladie chronique ou un problème de santé augmentant le risque de complicati­ons de la COVID, ont appris qu’elles allaient fort probableme­nt être vaccinées en même temps que leur groupe d’âge.

La minimisati­on de la vulnérabil­ité de ces personnes a été un véritable choc pour plusieurs d’entre elles. Les données québécoise­s des cas de COVID-19 entre juillet 2020 et février 2021 permettent d’illustrer la vulnérabil­ité des personnes âgées de 20 à 59 ans ayant au moins une maladie chronique. Dans ce groupe d’âge, même si elles ne comptent que pour 33 % des cas, elles représente­nt 59 % des hospitalis­ations et 77 % des décès. Ce n’est pas rien. Plusieurs pays et provinces canadienne­s, comme l’Ontario et l’Alberta, ont pris acte des facteurs de vulnérabil­ité liés aux maladies et des situations de handicap et ont choisi de vacciner plus largement les

Comment pouvons-nous collective­ment accepter d’abandonner toute priorisati­on de la vaccinatio­n de personnes ayant moins de chances de survivre à des soins intensifs ou même pouvant s’y voir carrément refuser l’accès si le protocole de triage devait être appliqué ?

personnes handicapée­s et les personnes ayant des maladies chroniques en priorité. De leur côté, l’ONU et l’OMS ont rappelé aux États de tenir compte des inégalités en santé vécues par les personnes handicapée­s.

Le lendemain, la question de la vaccinatio­n des personnes ayant des maladies chroniques a encore été soulevée. Le Dr Arruda et le ministre Dubé se sont montrés rassurants. Les personnes n’avaient qu’à contacter leur pharmacie pour être vaccinées. Derrière cette apparente simplicité se cache toutefois une tout autre réalité. La liste des maladies chroniques admissible­s n’existe pas, ce qui génère encore de la confusion. De plus, les personnes concernées ne sont pas autorisées à prendre un rendez-vous sur ClicSanté et quelques pharmacies contactées ont dit qu’elles ne pouvaient se charger de la prise de rendezvous. Dans cette situation, l’obtention d’un rendez-vous est pratiqueme­nt impossible.

Devant la montée inquiétant­e des variants et une pression énorme pour vacciner rapidement nos travailleu­rs essentiels, nous constatons qu’il a été décidé de prioriser le groupe 9 pour ralentir la transmissi­on. Cette décision retarde ainsi la vaccinatio­n de la majorité des personnes vulnérable­s de 60 ans et moins. Il s’agit d’un changement de stratégie important considéran­t que la plupart des experts consultés par le Comité d’immunisati­on du Québec s’entendaien­t sur l’importance de vacciner les personnes les plus vulnérable­s en priorité. Le gouverneme­nt aurait dû faire preuve de transparen­ce quant à ce changement de stratégie et s’adresser directemen­t aux personnes touchées.

De plus, l’urgence de vacciner les travailleu­rs essentiels ne peut expliquer l’abandon complet de la priorisati­on de nombreuses personnes à risque. Si un manque de vaccins et un changement de stratégie justifient la décision de limiter radicaleme­nt l’admissibil­ité des personnes vulnérable­s au groupe 8, pourquoi ne pourraient­elles pas être vaccinées après le groupe 9, soit sans devoir attendre leur groupe d’âge ? Comment pouvons-nous collective­ment accepter d’abandonner toute priorisati­on de la vaccinatio­n de personnes ayant moins de chances de survivre à des soins intensifs ou même pouvant s’y voir carrément refuser l’accès si le protocole de triage devait être appliqué ?

La priorisati­on de la vaccinatio­n des personnes vulnérable­s et à risque n’est pas une question de jalousie par rapport à d’autres groupes prioritair­es. C’est une question d’équité basée sur la science. Il n’est pas trop tard pour rectifier le tir.

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