Le Devoir

Des effets délétères du harcèlemen­t de rue sur la qualité de vie

Une étude universita­ire mesure les répercussi­ons multiples de cette réalité que doivent subir des Montréalai­ses

- ZACHARIE GOUDREAULT

Cesser de courir le soir, limiter ses interactio­ns sociales et ses déplacemen­ts, vivre dans la peur, aux aguets des propos et gestes déplacés : le harcèlemen­t de rue affecte la qualité de vie de nombreuses femmes, à Montréal comme ailleurs. Devant ce phénomène trop souvent « banalisé », des expertes sont à la recherche de solutions.

Le lancement de la première étude universita­ire au Québec portant sur les conséquenc­es des violences commises contre les femmes dans l’espace public a lieu jeudi soir dans le cadre d’un événement virtuel. Le document, dont Le Devoir a obtenu copie, se base sur des entretiens réalisés auprès de 19 Montréalai­ses âgées de 18 à 60 ans ayant subi du harcèlemen­t, comme des violences physiques ou verbales de la part d’inconnus, en vaste majorité des hommes.

« Le harcèlemen­t de rue engendre des émotions désagréabl­es et laisse des séquelles psychologi­ques qui sont parfois réactivées par des lieux et des témoignage­s d’autres victimes de harcèlemen­t de rue », constatent les autrices de l’étude. Celle-ci est chapeautée par la professeur­e associée à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, Mélissa Blais, en collaborat­ion avec le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CEAF).

En 2017, un sondage mené par cet organisme soulignait qu’une vaste majorité de répondante­s affirmaien­t subir du harcèlemen­t de rue. Cette nouvelle étude vient maintenant aborder les « impacts à long terme » de ce phénomène « banalisé », souligne Mme Blais en entrevue.

Qu’il s’agisse de siffler, d’insulter, de suivre ou de fixer du regard avec insis

Je suis presque désensibil­isée parce que ça m’arrive depuis que j’ai 12 ans de toutes sortes de manières

ANGELINA GUO

tance une femme, tous ces actes ont des répercussi­ons sur les femmes qui subissent ceux-ci dans l’espace public.

« Un regard insistant fait craindre aux femmes qu’il puisse y avoir une escalade menant à une agression physique de tout type », illustre Mme Blais.

Après avoir subi du harcèlemen­t de rue à répétition, plusieurs participan­tes à cette étude ont décidé de changer leurs habitudes. Certaines cachent ainsi leur féminité sous des vêtements plus amples lorsqu’elles sortent de chez elles. D’autres s’empêchent de sortir le soir « ou, encore, elles vont complèteme­nt se recroquevi­ller pour éviter les regards et les interactio­ns sociales », souligne au Devoir l’organisatr­ice communauta­ire au CEAF Audrey Simard.

« Il y a des occasions manquées [pour ces femmes] de créer des liens avec des personnes qui pourraient mener à des amitiés ou à de l’entraide », se désole-t-elle.

Dès l’enfance

Plusieurs femmes subissent d’ailleurs du harcèlemen­t de rue depuis l’enfance, note l’étude.

« Je suis presque désensibil­isée parce que ça m’arrive depuis que j’ai 12 ans de toutes sortes de manières », raconte Angelina Guo, une résidente de Longueuil aujourd’hui âgée de 19 ans. Souvent, quand elle fait du jogging dans la rue, « elle se fait suivre », notamment par des automobili­stes qui n’hésitent pas à « klaxonner » en passant près d’elle.

« Il y a quelques semaines, il y a un garçon qui a commencé à courir à côté de moi pendant cinq minutes et j’ai dû terminer ma course plus tôt parce qu’il n’arrêtait pas de me suivre », confie-telle également. « C’est vraiment désagréabl­e », ajoute la jeune femme, qui « fait exprès de ne pas courir le soir pour minimiser les risques ».

Des actions réclamées

L’étude a d’ailleurs pris en considérat­ion le rôle de la classe sociale quant aux conséquenc­es du harcèlemen­t de rue chez les femmes.

« Avec la pauvreté vient l’obligation d’utiliser le transport en commun, et on note une grande fréquence d’actes commis dans les transports en commun », constate notamment Mme Blais.

Le rapport formule ainsi plusieurs recommanda­tions à l’intention de la Société de transport de Montréal (STM). Celle-ci pourrait par exemple miser davantage sur des campagnes de sensibilis­ation au harcèlemen­t de rue dans son réseau de bus et de métro. En plus d’envisager de réserver certaines voitures de métro aux femmes et aux enfants, comme cela se fait entre autres à Mexico.

Enfin, le rapport propose également d’impliquer une « diversité d’intervenan­tes » pour venir en aide aux femmes qui subissent du harcèlemen­t dans l’espace public, et non pas seulement des policiers.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? « Un regard insistant fait craindre aux femmes qu’il puisse y avoir une escalade menant à une agression physique de tout type », souligne la professeur­e associée à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM Mélissa Blais, qui a chapeauté l’étude.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR « Un regard insistant fait craindre aux femmes qu’il puisse y avoir une escalade menant à une agression physique de tout type », souligne la professeur­e associée à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM Mélissa Blais, qui a chapeauté l’étude.

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