Le Devoir

Où est le plan, M. Trudeau ?

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

C’est lundi prochain que la ministre fédérale des Finances, Mme Chrystia Freeland, présentera le premier budget fédéral en bonne et due forme depuis le début de la pandémie. Le gouverneme­nt Trudeau a fait le point à quelques reprises au cours de la dernière année, en en profitant au passage pour annoncer plusieurs mesures d’urgence qui totalisent approximat­ivement 330 milliards de dollars. Mais il était plus que temps de fournir un portrait détaillé et surtout d’y ajouter les cibles à atteindre.

Malheureus­ement, la probabilit­é d’élections prochaines risque de fausser l’exercice et de remettre encore le moment de prendre les vraies décisions. Auquel cas ce budget tiendra lieu de complément au congrès du week-end dernier au cours duquel on a réitéré plusieurs promesses libérales jamais réalisées sous prétexte d’urgence sanitaire. On pense au financemen­t d’un réseau de garderies et à la création d’un programme d’assurance médicament­s, ou encore à ce plan de relance verte dont on reporte les détails de mois en mois.

Dans sa mise à jour de novembre, la ministre Freeland avait répété que le temps n’était pas venu pour un programme de relance d’envergure auquel elle promettait de consacrer entre 75 et 100 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.

Or, même si la pandémie n’est pas terminée et que certains secteurs sont encore très affectés, la conjonctur­e économique dans son ensemble ne justifie plus de consacrer autant d’argent sur une aussi courte période à des projets qui pourraient être financés à l’intérieur des programmes existants. On pense évidemment à Investir dans le Canada, un plan de 188 milliards de dollars sur douze ans dont la vérificatr­ice générale vient tout juste de critiquer la lenteur d’exécution et le manque de rigueur dans l’informatio­n fournie à la population et aux élus. Sans oublier cette fameuse Banque de l’infrastruc­ture du Canada (BIC) qui dispose de 35 milliards de dollars de fonds fédéraux pour investir avec le secteur privé, mais dont les principaux partenaire­s à ce jour sont plutôt gouverneme­ntaux. Depuis sa création, la BIC a davantage fait parler d’elle à cause des changement­s à la haute direction plutôt que des projets originaux mis sur pied grâce à son interventi­on.

Les Canadiens comme les Québécois sont d’accord pour que les efforts gouverneme­ntaux servent à accélérer la transition vers une économie plus verte. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Certaineme­nt pas de tirer dans toutes les directions et de dépenser sans compter.

S’il est vrai que la crise exigeait une interventi­on rapide et massive des gouverneme­nts, il est aussi vrai que le taux de chômage est revenu à un niveau proche de celui qui prévalait avant la pandémie et qu’une croissance encore plus rapide est prévue au cours des prochains trimestres. En revanche, le déficit du gouverneme­nt fédéral et la dette qui l’accompagne ont pris des allures de ballon gonflé à l’hélium.

Selon le directeur parlementa­ire du budget, le déficit fédéral atteindrai­t 363,4 milliards en 2020-2021, soit l’équivalent de 16,5 % du PIB, et la dette, plus de 1085 milliards. Heureuseme­nt que les taux d’intérêt sont encore très bas, mais compte tenu de la bonne santé de l’industrie de la constructi­on et des nombreux projets qui sont déjà sur les tables à dessin partout au pays, on voit mal pourquoi Ottawa y ajouterait 100 autres milliards d’ici trois ans.

D’ailleurs, il n’y a pas que l’industrie de la constructi­on dans ce pays. Bien des gens ont encore besoin de l’aide fédérale. Malgré l’aide conditionn­elle annoncée lundi pour Air Canada, on attend toujours un plan de relance de l’industrie aéronautiq­ue dans son ensemble. Puis, il y a l’assurancee­mploi, dont la pandémie a fait la preuve de son incapacité à venir en aide à tous les chômeurs en temps de crise majeure.

La conjonctur­e n’est certaineme­nt pas la mieux adaptée au lancement de nouveaux programmes récurrents. N’empêche que certaines réformes sont devenues indispensa­bles autant pour les ménages que pour les entreprise­s à la recherche d’une main-d’oeuvre compétente. En permettant à plus de femmes de poursuivre leur carrière tout en ayant des enfants, le financemen­t de places en garderie en est un autre exemple.

N’oublions surtout pas le financemen­t de la santé, dont la pandémie nous a aussi rappelé les lacunes avec cruauté.

Une large fraction des monstrueux déficits des derniers mois se résorbera d’elle-même avec la fin de programmes de soutien temporaire­s. Ce qui devrait permettre à Ottawa d’assumer une plus juste part de l’explosion des coûts attendue dans le secteur de la santé. En sera-t-il question dans ce budget préélector­al ?

Même si la pandémie n’est pas terminée et que certains secteurs sont encore très affectés, la conjonctur­e économique dans son ensemble ne justifie plus de consacrer autant d’argent sur une aussi courte période à des projets qui pourraient être financés à l’intérieur des programmes existants

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