Où est le plan, M. Trudeau ?
C’est lundi prochain que la ministre fédérale des Finances, Mme Chrystia Freeland, présentera le premier budget fédéral en bonne et due forme depuis le début de la pandémie. Le gouvernement Trudeau a fait le point à quelques reprises au cours de la dernière année, en en profitant au passage pour annoncer plusieurs mesures d’urgence qui totalisent approximativement 330 milliards de dollars. Mais il était plus que temps de fournir un portrait détaillé et surtout d’y ajouter les cibles à atteindre.
Malheureusement, la probabilité d’élections prochaines risque de fausser l’exercice et de remettre encore le moment de prendre les vraies décisions. Auquel cas ce budget tiendra lieu de complément au congrès du week-end dernier au cours duquel on a réitéré plusieurs promesses libérales jamais réalisées sous prétexte d’urgence sanitaire. On pense au financement d’un réseau de garderies et à la création d’un programme d’assurance médicaments, ou encore à ce plan de relance verte dont on reporte les détails de mois en mois.
Dans sa mise à jour de novembre, la ministre Freeland avait répété que le temps n’était pas venu pour un programme de relance d’envergure auquel elle promettait de consacrer entre 75 et 100 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.
Or, même si la pandémie n’est pas terminée et que certains secteurs sont encore très affectés, la conjoncture économique dans son ensemble ne justifie plus de consacrer autant d’argent sur une aussi courte période à des projets qui pourraient être financés à l’intérieur des programmes existants. On pense évidemment à Investir dans le Canada, un plan de 188 milliards de dollars sur douze ans dont la vérificatrice générale vient tout juste de critiquer la lenteur d’exécution et le manque de rigueur dans l’information fournie à la population et aux élus. Sans oublier cette fameuse Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) qui dispose de 35 milliards de dollars de fonds fédéraux pour investir avec le secteur privé, mais dont les principaux partenaires à ce jour sont plutôt gouvernementaux. Depuis sa création, la BIC a davantage fait parler d’elle à cause des changements à la haute direction plutôt que des projets originaux mis sur pied grâce à son intervention.
Les Canadiens comme les Québécois sont d’accord pour que les efforts gouvernementaux servent à accélérer la transition vers une économie plus verte. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Certainement pas de tirer dans toutes les directions et de dépenser sans compter.
S’il est vrai que la crise exigeait une intervention rapide et massive des gouvernements, il est aussi vrai que le taux de chômage est revenu à un niveau proche de celui qui prévalait avant la pandémie et qu’une croissance encore plus rapide est prévue au cours des prochains trimestres. En revanche, le déficit du gouvernement fédéral et la dette qui l’accompagne ont pris des allures de ballon gonflé à l’hélium.
Selon le directeur parlementaire du budget, le déficit fédéral atteindrait 363,4 milliards en 2020-2021, soit l’équivalent de 16,5 % du PIB, et la dette, plus de 1085 milliards. Heureusement que les taux d’intérêt sont encore très bas, mais compte tenu de la bonne santé de l’industrie de la construction et des nombreux projets qui sont déjà sur les tables à dessin partout au pays, on voit mal pourquoi Ottawa y ajouterait 100 autres milliards d’ici trois ans.
D’ailleurs, il n’y a pas que l’industrie de la construction dans ce pays. Bien des gens ont encore besoin de l’aide fédérale. Malgré l’aide conditionnelle annoncée lundi pour Air Canada, on attend toujours un plan de relance de l’industrie aéronautique dans son ensemble. Puis, il y a l’assuranceemploi, dont la pandémie a fait la preuve de son incapacité à venir en aide à tous les chômeurs en temps de crise majeure.
La conjoncture n’est certainement pas la mieux adaptée au lancement de nouveaux programmes récurrents. N’empêche que certaines réformes sont devenues indispensables autant pour les ménages que pour les entreprises à la recherche d’une main-d’oeuvre compétente. En permettant à plus de femmes de poursuivre leur carrière tout en ayant des enfants, le financement de places en garderie en est un autre exemple.
N’oublions surtout pas le financement de la santé, dont la pandémie nous a aussi rappelé les lacunes avec cruauté.
Une large fraction des monstrueux déficits des derniers mois se résorbera d’elle-même avec la fin de programmes de soutien temporaires. Ce qui devrait permettre à Ottawa d’assumer une plus juste part de l’explosion des coûts attendue dans le secteur de la santé. En sera-t-il question dans ce budget préélectoral ?
Même si la pandémie n’est pas terminée et que certains secteurs sont encore très affectés, la conjoncture économique dans son ensemble ne justifie plus de consacrer autant d’argent sur une aussi courte période à des projets qui pourraient être financés à l’intérieur des programmes existants